DÉCODAGE: La Pologne, le pays qui s’est fait un nom

 

La Pologne grandit, discrètement, contre vents et marées et en partant de loin. Son adhésion à l’Union européenne en 2004 avait suscité de nombreuses craintes, surtout en France où l’image du plombier polonais voleur de travail avait hanté tout un pays. Dix ans plus tard, le scénario pourrait s’inverser.

Varsovie peut bomber le torse: aucune autre économie en Europe ne s’est autant développée depuis le début du siècle. En 2014, son PIB devrait encore augmenter de 2,8%, puis de 3,1% l’an prochain et même de 3,7% en 2016, selon Business monitor international.

Le taux de chômage, bien plus élevé que celui de la France en 2004 (18,3% contre 8,7%) est aujourd’hui moindre: 8,8% contre 10,5% dans l’Hexagone. La sixième économie du continent attire en outre les investisseurs, alors que son taux d’endettement diminue. La Pologne est même le seul Etat de l’UE à ne pas avoir connu la récession lors de la crise de 2009.

Comment le plombier polonais a-t-il réussi ce tour de force? Selon le dernier classement de compétitivité de l’IMD, bas coûts, dynamisme, main-d’œuvre de qualité, accès au financement et stabilité politique démarquent le pays. «Les fondamentaux macro-économiques de la Pologne sont stables en comparaison européenne», selon Anne-France Borgeaud Pierazzi, économiste de l’institut lausannois.

L’ancienne nation communiste ne cesse de grimper dans les classements annuels des rapports «Doing Business» de la Banque mondiale, qui jaugent l’environnement des affaires dans le monde. L’inscription sur les registres de propriété est facilitée, le paiement des impôts allégé, les contrats, consolidés, les faillites, mieux encadrées.

Des conditions qui ont incité l’Allemagne à faire de son voisin sa grande usine (plus d’un quart des exportations polonaises lui sont destinées). Le sous-traitant s’occupe d’abord des activités à faible valeur ajoutée. Ikea? Son usine pour l’Europe est à Poznań. De Volkswagen à Procter & Gamble et Amazon, des poids lourds misent sur ce pays, où la main d’oeuvre reste abordable. En 2003, la nation a exporté pour 53 milliards de dollars de biens, un chiffre qui a grimpé à 203 milliards l’an dernier. Les départs vers la Suisse de voitures, meubles, machines ou autres savons sont en grande hausse depuis une décennie.

Plus des trois-quarts des exportations ont l’UE pour destination, ce qui selon les observateurs peut fragiliser son économie. Si l’Allemagne et les autres représentants du Vieux-Continent venaient à s’enruhmer, Varsovie pourrait éternuer, disent-ils.

Moins fort que d’autres. La Pologne, le plus gros pays de l’Est, peut davantage compter sur son marché intérieur, de 38 millions d’habitants, que ses voisins baltes, roumains et ukrainiens. Les exportations représentent par ailleurs moins de la moitié de son PIB; dans les autres pays de l’Est, cette part est plus élevée. La Chine, en plus, représente un nouveau relais de croissance; les investissements de l’Empire ont décuplé durant la dernière décennie.

Tout n’est pas rose pour autant. «Les sanctions à l’égard de la Russie, où la Pologne exporte traditionnellement beaucoup de denrées alimentaires, pénalisent le pays. Les événements en Ukraine aussi», souligne Anne-France Borgeaud Pierazzi. Le ministre des finances polonais, Mateusz Szczurek, a pour sa part souligné que malgré le repli commercial avec la Russie, les exportations ont en général encore beaucoup augmenté cette année.

Dans le classement 2014 de l’IMD, le pays a reculé. Il en ressort que la bureaucratisation encore poussée des institutions, le bas degré d’innovation et la faiblesse des investissements étrangers n’avantagent pas le pays. Malgré les coûts bas, les craintes de délocalisation sont en outre vives parmi les compatriotes de Lech Walęsa et de Piotr Adamski.

L’ancien homme d’Etat vient néanmoins de confier au New York Times que si on lui avait dit il y a vingt que sa patrie allait se développer de la sorte, il ne l’aurait pas cru. Et Piotr Adamski? Ce dernier est un mannequin. Il a été recruté par l’office du tourisme polonais pour se déguiser en plombier. Et dire aux Français qu’il restait au pays tout en les invitant à venir dire bonjour.

(24 heures)