
Lorsqu’ils racontent leur évasion, les fugitifs du tunnel 57 sont encore émus. «Je me souviendrai toujours du moment où je me suis glissé dans ce tunnel d’un mètre de diamètre. Je savais ce qui m’attendait tout au bout: la liberté. Incroyable!» raconte Hans-Joachim Tillemann, la voix encore tremblante. Pour Ursula Ziegltrum, âgée de 22 ans à l’époque, la décision de partir a été plus douloureuse. «J’ai laissé ma famille derrière moi. Mais je n’ai jamais regretté mon choix», dit-elle.
A l’occasion du 50e anniversaire du tunnel 57, la fuite la plus spectaculaire de l’histoire du Mur de Berlin, les fugitifs et les tunneliers se sont retrouvés le 3 octobre pour commémorer cet événement. «C’est incroyable à quel point les gens s’intéressent à notre histoire», lâche Klaus von Keussler, l’un des cerveaux de cette opération qui a permis à 57 personnes de fuir la dictature communiste.
145 mètres sous la frontière
Retour sur les faits: en mai 1964, un groupe d’étudiants s’organise pour creuser un tunnel à partir de Berlin-Ouest, au 97 de la Bernauer Strasse. Il s’agit de récupérer à Berlin-Est une maman, une cousine, un fiancé ou des grands-parents. Cette opération est très risquée. La police politique est-allemande (Stasi) surveille le quartier jour et nuit. Sur douze tentatives de fuite par tunnel dans cette rue, seulement trois ont réussi. L’équipe de tunneliers engage les travaux dans une boulangerie désaffectée du côté Ouest. Les étudiants creusent un trou de 12 mètres de profondeur pour avancer ensuite sur 145 mètres sous la frontière. Pour ne pas éveiller les soupçons des gardes-frontière (VoPos) perchés sur des miradors, la terre est entreposée dans la salle du four à pain et dans les étages supérieurs.
Six mois plus tard, les étudiants atterrissent à l’Est, dans la cour intérieure d’un immeuble. «Par chance, nous sommes tombés sous une cabane en bois servant autrefois de toilettes», raconte Klaus von Keussler.
«Tokyo» pour mot de passe
Ils envoient alors leurs «messagers» à Berlin-Est pour prévenir les candidats au départ. «J’ai été cherché une personne à son domicile, raconte Gerhard Mette, ancien messager. Nous avons traversé la ville sur sa moto à une vitesse incroyable. Il n’y avait aucune circulation à l’époque!» poursuit-il.
Devant la porte du 55 de la Strelitzer Strasse, les fugitifs donnaient le mot de passe «Tokyo» (ville des Jeux olympiques en 1964). Gerhard Mette découvrira après la chute du Mur que les agents de la Stasi l’avaient filé. «Ils ont perdu notre trace car nous roulions trop vite, rigole Gerhard Mette. Cela aurait pu mettre un terme à l’opération!»
Les 57 fugitifs ont tout laissé derrière eux, leur vie et parfois leur famille. «Je me souviens de cette femme médecin qui avait tout le confort: une voiture, un grand appartement, le téléphone, de bons revenus. Elle a tout abandonné en deux minutes, s’exclame Klaus von Keussler. Elle risquait de quatre à cinq ans de prison!» ajoute-t-il. La première vague d’évasions, le 3 octobre 1964, se déroule sans encombre, avec 29 personnes. Le lendemain, les 28 autres personnes passent avec succès. Mais la Stasi est prévenue par un indicateur et fait une descente de police vers minuit, au cours de laquelle le sous-officier Egon Schultz perd la vie dans un échange de coups de feu avec les étudiants.
Le décès de ce jeune homme de 21 ans est l’occasion pour le régime est-allemand de lancer une campagne de propagande contre les «agents secrets de l’Ouest». Elevé au rang de martyr, Egon Schultz donnera son nom à des casernes et à des lycées.
La vérité sur Egon Schultz
Après la chute du Mur, les archives de la Stasi révéleront la vérité: Egon Schultz avait été tué accidentellement par un de ses camarades. «L’étudiant Christian Zobel, qui avait seulement blessé le VoPo, a vécu toute sa vie avec un sentiment de culpabilité. Il est mort sans connaître la vérité», déplore Klaus von Keussler. Les parents du garde-frontière, eux aussi, sont décédés dans le mensonge du régime est-allemand. «Tout le succès de l’opération a été terni par ce décès», explique Klaus von Keussler. Pour les tunneliers, Egon Schultz était aussi une victime du Mur. «Sans cette frontière inhumaine, il n’aurait pas perdu la vie. C’est le système qui l’a tué», peste l’ancien tunnelier. Avec ses camarades du tunnel 57, il est allé poser en 2004 une pierre commémorative en son souvenir.
(24 heures)