INDE: Stérilisées à la chaîne avec des scalpels sales, des femmes meurent des séquelles

La scène est connue en Inde: des femmes pauvres qui font la queue devant un centre de stérilisation. Leur espoir? Recevoir en échange la modique somme de 1400 roupies (22 francs). En théorie, le chirurgien qui pratique l’opération doit suivre un protocole fixé par le Ministère de la santé. Pourtant, samedi, dans un camp de stérilisation de Chhattisgarh, dans le centre de l’Inde, l’opération a mal tourné. Quatre-vingt-trois femmes se présentent pour une ligature des trompes. Le chirurgien et son assistant les opèrent en seulement cinq heures. Le lendemain, plusieurs souffrent de vomissements. Lundi et mardi, huit d’entre elles décèdent. Une cinquantaine d’autres sont hospitalisées.

L’affaire met en lumière les limites du contrôle de la natalité en Inde. Si les candidats à la stérilisation touchent une prime, ils ne sont pas toujours informés des risques. Et pour cause: le personnel médical a des quotas à remplir. Il ne touche que quelques centaines de roupies pour chaque patient. Pas le temps de respecter les règles d’hygiène. La stérilisation est réalisée en quelques minutes, avec des scalpels sales. Les patients sont opérés à la chaîne.

Le forcing absolu

L’administration est prête à tout pour inciter les Indiens à se faire stériliser. Avec 1,2 milliard d’habitants, l’Inde s’inquiète de sa natalité galopante depuis cinquante ans. Quand le recensement de 1961 est publié, les autorités tirent la sonnette d’alarme: en dix ans, la population a grimpé de 78 millions de personnes, à 439 millions. Le gouvernement décide d’encourager les stérilisations volontaires pour les couples qui ont des enfants. Las! La natalité explose et l’Inde compte 200 millions d’habitants supplémentaires en 1981. C’est alors que le premier ministre de l’époque, Indira Gandhi, laisse son fils Sanjay initier une mesure radicale: les stérilisations obligatoires. Dans les villages, les hommes sont emmenés de force par la police pour être stérilisés. Les heurts se multiplient. L’impopularité du programme est telle que le gouvernement ne relance la stérilisation sur la base du volontariat que dans les années 90.

Aujourd’hui, les Etats multiplient les démarches pour convaincre les volontaires. Il y a trois ans, le Rajasthan, dans le nord, promettait une Tata Nano aux candidats. D’autres régions offrent un téléviseur, une mobylette… Mais certaines vont plus loin. Dans une enquête publiée en 2012, l’ONG Human Rights Watch révèle que l’administration du Gujarat menace son personnel si les quotas ne sont pas remplis: licenciement, retenue sur salaire… Le réseau Human Rights Law Network dénonce alors le retour des stérilisations forcées qui touchent les plus pauvres et saisit la Cour suprême pour qu’elle légifère.

La méthode douce

Pendant ce temps, le taux d’accroissement de la population indienne a atteint son plus bas niveau depuis cinquante ans d’après le recensement de 2011. Nombre d’observateurs estiment que ce ralentissement n’est pas lié aux stérilisations mais aux mesures prises en faveur de l’éducation des femmes. L’Etat du Kerala a ainsi limité la croissance de sa population à 4,9% entre 2001 et 2011 en ayant eu recours à moins de stérilisations que la moyenne nationale. Le taux d’alphabétisme des femmes y est de 92%, le taux le plus élevé du pays.

(TDG)