RUSSIE: «Les poursuites contre Memorial sont illégales»

La Cour suprême russe doit trancher demain sur la liquidation de la structure de Memorial Russie, principale ONG de défense des droits de l’homme en Russie. Cette procédure a été demandée par le Ministère de la justice. Entretien avec Jan Rachinsky, l’un des fondateurs et dirigeants de Memorial.

Qu’attendez-vous de cette audience?

Nous allons demander à ce que la décision soit repoussée. Nous prévoyons en effet d’organiser d’ici à la fin du mois de novembre une conférence interne qui apportera des changements à notre mode de fonctionnement. La plainte du Ministère de la justice porte sur notre structure qui comprend des filiales dans plusieurs villes de Russie. Nous allons apporter des réponses aux requêtes du ministère, ce qui devrait du coup rendre caduque sa demande de liquidation. Tout cela n’est qu’une absurdité bureaucratique! Nous voulons d’ailleurs poursuivre notre propre plainte contre le ministère car nous considérons illégales ses poursuites contre nous.

Au-delà de ces questions administratives de structure, Memorial Russie risque-t-il d’être fermé ?

Le risque existe bel et bien. On fait notre possible pour se réorganiser et éviter que les questions de structure servent de prétexte à une fermeture. On verra bien ce qu’en pense la Cour suprême et, surtout, ce que fera ensuite le ministère. C’est difficile à prévoir… Mais ce qui est sûr, c’est que cet épisode démontre une nouvelle fois que les autorités russes ne comprennent pas comment fonctionne la société civile. Notre structure, entre le bureau de Moscou et les bureaux en régions, est horizontale, sans hiérarchie. C’est contraire à la mentalité des bureaucrates qui voudraient que, même chez Memorial, tout soit contrôlé depuis le centre. A Moscou, notre organisation a un rôle de coordination et non de direction.

Est-ce un hasard si ces poursuites contre Memorial interviennent en pleine vague de répression contre l’opposition et les ONG pendant la crise ukrainienne?

Nous n’avons rien à avoir avec l’Ukraine. Mais c’est un fait que cela se passe alors que les pressions sur la société civile se sont nettement détériorées depuis un an, contre les ONG comme contre les médias indépendants. Face à nous, à l’occasion des événements en Ukraine, nous avons une propagande qui, sur certains aspects, est parfois bien pire que sous l’URSS. On en revient toujours au même problème: le pouvoir, au Kremlin, ne comprend pas l’importance d’une vraie société civile avec ses relais indépendants.

Dans un récent sondage, près de la moitié des Russes affirment qu’un retour aux répressions soviétiques est possible de leur vivant. Êtes-vous surpris?

Il y a, c’est un fait, une profonde nostalgie en Russie pour le mode de vie sous le régime soviétique. Beaucoup de gens se souviennent avant tout des aspects positifs de l’URSS et embellissent son système. Je ne suis, du coup, pas vraiment surpris qu’une majorité pense qu’un retour y compris aux méthodes de répression soit possible. Ce qui me surprend, c’est qu’ils le disent aussi ouvertement. Est-ce à dire qu’ils le veulent vraiment? Difficile à interpréter… Le problème c’est que le gouvernement russe n’a toujours pas accompli de vrai travail de fond sur le passé soviétique qui pousserait tout le pays à faire un effort de mémoire. L’accès aux archives, par exemple, indispensable aux recherches de Memorial, demeure difficile. Il n’y a pas vraiment de volonté des autorités d’initier cette dynamique. En février 2011, le Kremlin a certes créé un groupe de travail sur les répressions. Presque quatre ans plus tard, rien de concret n’en est encore sorti… Au contraire, dans ses discours, le pouvoir se focalise sur la victoire de l’URSS contre le nazisme, faisant fi de nombreuses questions et zones d’ombre. Le Kremlin de Vladimir Poutine veut être fier du passé et non pas le remettre en question…

(TDG)