Adnane, réfugié syrien en Egypte: «Ici je survis. Je pars en Europe chercher un avenir»

Pour Adnane, c’est le grand jour. Voilà des mois qu’il attend cela. Il s’apprête, comme des milliers de réfugiés syriens avant lui, à rejoindre l’Europe clandestinement. «J’y avais beaucoup réfléchi, mais le déclic, je l’ai eu quand j’ai reçu la photo de mon cousin, arrivé sain et sauf en Italie, avant de rejoindre le Danemark. Je me suis dit: «Comme lui, je vais rejoindre l’Europe.»

Arrivé de la banlieue de Damas il y a deux ans, ce jeune coiffeur a ouvert un petit salon au Caire. A peine de quoi faire vivre ses parents et son frère, qui l’ont rejoint peu après. «On pensait quitter la Syrie pour quelques mois. Les rebelles s’approchaient de la capitale. Mais finalement les combats ont duré et se sont rapprochés de notre quartier. On a dû partir.»

La famille a rassemblé ses économies et rejoint la capitale égyptienne. «Depuis on survit, même si on est en sécurité. Mais on aspire tous à une vie meilleure. Quand j’appelle mon cousin au Danemark, il me dit qu’on lui a octroyé un appartement, il prend des cours de langue gratuitement et il a une allocation mensuelle qui lui permet de vivre raisonnablement. Aucun pays arabe ne peut nous offrir cela.»

Traverser vite avant l’hiver

C’est ce même cousin qui le met alors en contact avec le passeur et qui l’aide à rassembler la somme de 3000 dollars nécessaire. «C’est le montant pour cinq jours de voyage en Méditerranée. Les gardes-côtes égyptiens prennent leur commission. Sinon c’est quinze jours de voyage dans des embarcations de fortune, avec le risque de se faire tirer dessus par la police égyptienne et de couler en haute mer.»

Mais ces traversées se sont considérablement réduites ces dernières semaines. Notamment depuis le scandale, le mois dernier, du «naufrage volontaire» d’une embarcation transportant 500 migrants par des passeurs peu scrupuleux. L’Europe a alors fait pression sur le gouvernement égyptien afin d’accroître les contrôles. «Il existe une mafia de passeurs qui conduit en Italie des migrants clandestins», avait reconnu Le Caire, promettant d’accentuer la lutte contre le fléau. «Les gardes-côtes sont désormais très stricts. De toute façon, c’est le dernier départ de l’année, assure Adnane. L’hiver, il fait trop froid et la mer est trop agitée. Le passeur m’a proposé un autre départ au mois de mai, mais je ne voulais pas attendre.»

Ni les tragiques naufrages ni les terribles conditions de voyage n’ont eu raison de sa détermination: «Je m’en remets à Dieu. L’espoir d’une vie meilleure est plus grand que ma peur. Les bateaux sont relativement grands, mais nous serons entre 500 et 600 personnes. Les passeurs nous ont prévenus: on dort très mal et on mange peu. Mais je ne suis pas le plus à plaindre, certains voyagent avec des enfants en bas âge!»

Les passeurs à l’offensive

Une fois en Italie, Adnane a l’intention de rejoindre des amis aux Pays-Bas. En attendant, direction Damiette. La ville côtière, à deux cents kilomètres au nord-est du Caire, est devenue le point de départ des migrants vers l’Europe. Il doit se rendre dans un hôtel précis, où les passeurs viendront le récupérer dans la nuit.

Mais Adnane est informé plus tard que le voyage est reporté d’une nuit. Un navire de la marine égyptienne a été attaqué (huit militaires étaient toujours portés disparus hier). Officiellement, il s’agit d’une attaque terroriste. Mais plusieurs observateurs voyaient dans l’attentat la responsabilité des réseaux de passeurs, mécontents de voir les contrôles se durcir. «Ce n’est que partie remise. Un bus devrait venir nous chercher cette nuit et nous déposer directement à la plage. Après, ce sera une nouvelle vie…»

«Il est parti, il nous a informés cette nuit depuis la plage», confirmait son père avant-hier. La famille mise beaucoup sur ce voyage: «On espère pouvoir le rejoindre légalement par la suite. Pour sortir de la pauvreté, on est prêt à tout. D’autres Syriens ont réussi, pourquoi pas nous?»

(TDG)