
Le calife autoproclamé du groupe Etat islamique (Daech) vient d’appeler à attaquer le régime saoudien. «C’est un tournant majeur, commente Mathieu Guidère, auteur de plusieurs livres sur l’islam radical et le Moyen-Orient, interrogé par La Tribune de Genève. La participation de l’Arabie saoudite aux bombardements de la coalition contre Daech explique ce retournement contre le régime islamique rigoriste wahhabite, pourtant proche idéologiquement».
«Faute stratégique»
C’est sous une forte pression des Etats-Unis que le royaume saoudien s’est engagé dans la coalition. «C’est une faute stratégique que la famille régnante et la coalition pourraient payer cher», commente le professeur de l’Université de Toulouse. En outre, les bombardements de la coalition ont amené hier à l’annonce de l’alliance sur le terrain du groupe Al-Nosra, affilié à Al-Qaida et du groupe Etat islamique, qui se combattaient jusqu’ici (3000 morts). Alors que jusqu’à présent, la coalition pouvait jouer de ces divisions djihadistes.
«Dans les médias et sur les réseaux sociaux au Moyen-Orient, le fait que l’Arabie saoudite, pays des lieux saints de l’Islam frappe des musulmans, c’est un peu comme si des Suisses bombardaient des Suisses», commente Mathieu Guidère. «De plus, il y a deux princes de la famille royale qui pilotent des chasseurs F-15 engagés dans les bombardements! Et beaucoup de Saoudiens ne cachent pas leur sympathie pour Daech, qui compte d’ailleurs de nombreux Saoudiens dans ces rangs».
«L’Iran en profite»
Dans ce contexte, «l’Iran qui laissait faire vis-à-vis de l’Etat islamique profite de la situation. Il a armé au Yémen le groupuscule Houthis, qui a pris le contrôle de la capitale Sanaa et du nord du pays à la frontière saoudienne. Ceci, sur le modèle du Hezbollah libanais. Téhéran soutient aussi les contestations à l’intérieur du royaume des Saoud, au nord-est. L’Arabie saoudite se retrouve au centre d’une ceinture chiite, avec le Yémen au sud, Bahreïn et l’Iran à l’est, l’Irak et le régime alaouite syrien au nord. Evidemment, cette situation géopolitique et l’appel du groupe Etat islamique fragilisent le régime à Ryad.»
Pour Mathieu Guidère, la question est maintenant de savoir ce que vont faire les Etats-Unis. «Washington va-t-il lâcher le régime saoudien, rester spectateur ou le soutenir?» s’interroge-t-il. «Beaucoup souhaitent, et depuis longtemps, la chute des Saoud. Mais il faudra en assumer les conséquences», conclut l’islamologue.
(TDG)