Le boom démographique israélien change la donne au Proche-Orient

Y aura-t-il vraiment un jour deux Etats, l’un israélien l’autre palestinien, coincés entre la Méditerranée et le Jourdain? A voir les troubles se multiplier au Proche-Orient, on peut en douter. Cela dit, la vraie réponse est peut-être à chercher dans les nurseries de Terre sainte, où se livre une bataille démographique déterminante. Jugez plutôt. A Washington, le chef de la diplomatie John Kerry n’en finit pas de prévenir – en termes polis – que le jour où la population arabe deviendra majoritaire, l’Etat hébreu ne sera plus une démocratie mais un régime d’apartheid. A l’entendre, il y a donc urgence. Visiblement, son analyse n’est pas partagée par la droite israélienne. De plus en plus de voix s’élèvent pour défendre l’idée d’un Etat binational, où les juifs resteraient majoritaires malgré l’annexion de la Cisjordanie et l’octroi de la nationalité israélienne aux résidents palestiniens. Bref, l’enjeu démographique est plus qu’explosif, à l’heure où les Israéliens n’ont plus honte de partir vers d’autres cieux, à l’heure aussi où les flux d’immigration juive se tarissent, mais également au moment où la natalité arabe s’effondre et où le judaïsme ultraorthodoxe explose. Controverses garanties.

Berlin, nouvelle Terre promise?

Quel tollé! Installé dans la capitale allemande, Naor Narkis, 25 ans, n’imaginait pas provoquer une telle polémique en Israël quand il a créé, fin septembre, une page Facebook en hébreu intitulée Olim LeBerlin (c’est-à-dire «Montons à Berlin!»). Celle-ci est devenue virale quasi instantanément. Il lui a suffi de poster une photo de «Milky Pudding» trois fois moins cher en Allemagne qu’en Terre sainte. En une semaine, le satané flan au chocolat a été vu pas moins de 600 000 fois. Et des activistes ont tenté de lancer des «Milky Protests», trois ans après les mouvements de grogne sociale en Israël. Arborant des t-shirts «I love Berlin», ils ont enflammé le débat politique, la droite nationaliste y voyant une injure aux survivants de l’Holocauste. En réalité, ces quelques centaines d’immigrés à Berlin font surtout trembler ceux qui craignent de voir l’Etat hébreu perdre sa jeune génération. Car le tabou est tombé: quelque 30% des Israéliens affirment qu’ils songeraient sérieusement à quitter le pays si une occasion se présentait. Et 64% des personnes interrogées ne se disent pas choquées de voir des compatriotes s’exiler. Commandé par la chaîne de télévision Arutz 2, ce sondage publié le 7 septembre, moins de deux semaines après la fin de la guerre de Gaza, montre bien que les partants ne sont plus stigmatisés. Celui qui émigre – pour ses études, pour décrocher enfin un travail, pour élever ses enfants loin des roquettes palestiniennes – n’est plus forcément un «lâcheur» ou un «traître». Cela dit, en 2012, l’année après la grande contestation sociale, il n’y a eu que 15 900 départs, relativise le quotidien israélien Haaretz. Un nombre modeste, compensé par l’arrivée de juifs d’Europe de l’Est, des Etats-Unis et de France. Et en plus, un quart des «exilés» étaient déjà sur le retour en avril 2014. Bref, pas de quoi s’affoler. D’ailleurs, le phénomène n’est pas nouveau. Quelque 700 000 Israéliens ont abandonné leur Terre promise depuis la création de l’Etat hébreu en 1949, rappelle le célèbre démographe Sergio DellaPergola. Mais aujourd’hui les consulats d’Allemagne, de Hongrie ou encore de Pologne voient nombre de jeunes venir réclamer la nationalité de leurs aïeux. Au cas où.

L’immigration juive en panne

Ils ne sont pas passés inaperçus, ces 430 juifs de France qui ont fait en juillet leur alyah, leur «montée» en Israël, juste une semaine après le déclenchement des hostilités à Gaza! Les roquettes palestiniennes volaient déjà dans le ciel, déclenchant les sirènes d’alerte et précipitant la population dans les abris. L’Hexagone est devenu cette année le premier «fournisseur» d’immigrés, avec 4566 olims à la fin août, contre 3252 venant d’Ukraine et 2632 de Russie. Dans l’Etat hébreu, beaucoup voient dans ce flux la preuve que l’antisémitisme persiste et que des juifs continueront toujours à venir chercher refuge, grossissant la population. Cela dit, une rapide enquête de Haaretz semble indiquer que les motivations des Français sont variées et souvent n’ont rien à voir avec la hausse de l’antisémite chez nos voisins. Surtout, The Times of Israël prédit «la fin de l’alyah» puisque l’essentiel de la diaspora mondiale vit en sécurité dans un pays prospère: les Etats-Unis, où résident 6 millions de juifs (autant qu’en Israël). Ceux-là, pour la plupart, ne partiront pas au Proche-Orient. Depuis janvier, seulement 2218 ont fait le pas. Or, le boom démographique israélien qui a vu la population passer de 800 000 en 1948 à 8 millions en 2013 est dû à l’immigration de juifs qui ne venaient pas en Israël par idéologie mais pour fuir le génocide, les pogroms, la misère… Bref, ce n’est pas la situation outre-Atlantique. Il ne faut donc pas compter sur la diaspora pour garantir à l’avenir une majorité juive en Israël.

La dénatalité arabe

Si la droite israélienne ne se montre pas pressée de céder les Territoires palestiniens, c’est en partie à cause de la dénatalité arabe. Les chiffres indiquent que le Grand Moyen-Orient a entamé sa transition démographique: croissance du taux d’alphabétisation des femmes, chute de la mortalité et enfin déclin du nombre de naissances. C’est le cas par exemple de la Jordanie, qui comptait en moyenne 8 enfants par femme en 1960 mais seulement 3 en 2010, relevait le Jérusalem Post il y a déjà un an. L’Egypte est passée de 6,5 à moins de 3. Au Liban, de 5,5 à 1,5. La même tendance est constatée chez les Palestiniens. Le nombre de naissances par année a cessé d’augmenter. Du coup, entre la Méditerranée et le Jourdain, il n’est plus du tout sûr que les Arabes finiront un jour par être majoritaires. Cela a une implication politique concrète: si Israël annexait ces territoires et offrait la citoyenneté à la population, l’Etat hébreu ne perdrait pas pour autant son caractère juif. Le risque d’apartheid écarté, beaucoup ne voient plus l’urgence de laisser naître un Etat de Palestine.

La percée ultraorthodoxe

Ce qui renverse vraiment la donne, c’est le taux de natalité en Israël, qui tourne autour des 3 enfants par femme, anomalie absolue parmi les pays industrialisés. La France, jugée féconde, a une moyenne de 2 enfants par femme. La Suisse est à 1,5 alors que l’Allemagne et l’Italie dépassent à peine 1,4. Cette particularité de l’Etat hébreu s’explique par la croissance rapide des haredim, les juifs ultraorthodoxes, expliquait début 2014 le Population Reference Bureau, dans une analyse signée notamment par le démographe Sergio DellaPergola. Cette population ne représente encore que 10% des juifs israéliens mais croît au rythme de 7 enfants par femme et compte déjà pour 20% des moins de 20 ans. D’ici à 2050, elle formera 30% du judaïsme en Terre sainte. Voilà qui transforme la nature du sionisme, dont l’histoire fut essentiellement dominée par les laïcs.


Un Etat ou deux? L’étrange arithmétique israélo-palestinienne

Quelque 12 millions de personnes vivent entre le fleuve sacré et la Grande Bleue. Pour un peu plus de la moitié, il s’agit de juifs résidant en Israël ou dans les colonies en Cisjordanie. Et pour un peu moins de la moitié, il s’agit d’Arabes. Parmi ces derniers, il y a les Palestiniens de Cisjordanie (plus de 2,2 millions) ou de la bande de Gaza (1,6 million), mais aussi ceux de Jérusalem-Est à qui l’Etat hébreu octroie un permis de résident (300 000) et enfin les Arabes citoyens d’Israël simplement parce que leurs familles n’ont jamais fui leurs terres (1,3 million).

La solution des deux Etats côte à côte, c’est la garantie pour Israël de pouvoir être à la fois une démocratie et une nation juive, puisque c’est justement la culture partagée par les trois quarts de ses 8 millions d’habitants. Un Etat de Palestine, s’il naissait maintenant, compterait environ 4 millions de citoyens, auxquels s’ajouteraient les réfugiés revenant de Jordanie, du Liban ou encore de Syrie. C’est l’option prônée par Washington.

Un Etat binational dominé par une majorité juive, c’est le rêve des nostalgiques du Grand Israël, qui ne veulent renoncer à aucun des sites historiques du peuple hébreu. Ceux-là comptent sur le boom démographique des ultrareligieux pour parvenir à un taux de natalité supérieur à celui des Arabes. Par ailleurs, il s’agit d’annexer les «Territoires contestés» de Judée et Samarie (la Cisjordanie) et d’octroyer la nationalité israélienne à ses habitants, mais de se couper de la bande de Gaza, évacuant de l’équation 1,6 million de Palestiniens. Une option défendue par une partie du Likoud, le parti du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.

(TDG)