IRAK ET SYRIE: Mission genevoise pour désarmer les enfants

Elle revient d’Irak, lui de Syrie. Il y a quelques jours encore, Elisabeth Decrey-Warner et Mehmet Balci parcouraient chacun de leur côté ces régions kurdes dont les combattants sont en première ligne face aux djihadistes du groupe Etat islamique (Daech). Partis en mission pour l’ONG Appel de Genève, ils sont allés vérifier que les forces kurdes procèdent comme promis… à la démobilisation des enfants soldats. Etonnant timing? Pas tant que ça. «Dans cette guerre difficile et violente, les Kurdes veulent montrer au monde qu’ils ont des valeurs et veulent les défendre. Ils sont sensibles aux critiques de l’ONU et, en collaboration avec l’Appel de Genève, ils essaient d’y répondre en respectant mieux les standards internationaux. Ils souhaitent être considérés comme des combattants et non pas comme des terroristes», analyse Elisabeth Decrey-Warner. Ancienne présidente du Grand Conseil genevois, elle a cofondé en 2000 l’Appel de Genève, une ONG qui a déjà obtenu de 51 «acteurs armés non étatiques» qu’ils s’engagent formellement à respecter des traités humanitaires.

Un casse-tête logistique

Résultat cette année au Moyen-Orient: 149 adolescents viennent d’être démobilisés au sein des Unités de protection du peuple (YPG) kurdes de Syrie et environ 250 dans les bases arrière irakiennes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie. «Ce n’est pas toujours simple, car les jeunes ne veulent pas forcément retourner dans leurs familles, note la Genevoise. Trop souvent les filles venues s’enrôler avaient en réalité fui pour éviter un mariage forcé. Et si on renvoie ces mineurs ultrapolitisés, nombre d’entre eux iront simplement proposer leurs services à d’autres groupes armés. Quant aux jeunes de Turquie passés en Irak, ils ne peuvent plus rentrer.» Du coup, les forces kurdes ont organisé, loin des hostilités, des sortes de camps d’attente pour ces jeunes, explique Mehmet Balci, qui dirige les programmes pour le Moyen-Orient au sein de l’Appel de Genève. «Nous leur avons apporté des uniformes scolaires, afin qu’ils cessent de porter le treillis militaire. Et nous tentons d’obtenir que des civils les encadrent plutôt que des combattants armés. Ils ont besoin d’éducation, d’activités ludiques… Nous aimerions que des agences de l’ONU les prennent en charge, mais c’est très compliqué. En Syrie, par exemple, il leur faudrait le feu vert du gouvernement à Damas!»

Crise humanitaire à Sinjar

Un vrai casse-tête, qui empire avec l’hiver, quand l’arrivée de volontaires adolescents devient encore plus compliquée à gérer pour les forces kurdes. Dans le Nord irakien, Elisabeth Decrey-Warner a eu l’occasion d’en parler avec Cemil Bayik, le numéro deux du KCK, l’Union des communautés du Kurdistan, dont fait partie le PKK. La Genevoise a également rencontré Murat Karayilan, qui commande la branche militaire. «Mais en ce moment, ce qui les inquiète plus que tout, c’est la situation à Sinjar (ndlr: ancien fief de la minorité religieuse Yézidie en Irak). Encerclés par les combattants de Daech, 10 000 résidents ont de la nourriture pour tenir trois semaines. Après, c’est la crise humanitaire», s’alarme la présidente de l’Appel de Genève. A moins bien sûr que les forces kurdes ne parviennent à nouveau à créer un corridor par lequel les civils pourraient fuir. Et en Syrie? «En arrivant dans celui des trois cantons kurdes qui touche la frontière irakienne, j’ai été surpris de découvrir que la situation économique n’est pas catastrophique, note Mehmet Balci. La population peut compter sur la production locale et les autorités autonomes prélèvent des taxes sur les commerçants qui traversent la région pour passer en Irak. Mais psychologiquement, les gens sont très affectés par les combats. Les enfants ne prennent pas la peine d’aller à l’école. Ils ne voient pas de futur.»

(TDG)