
C’est dans un bar discret et distant du centre d’accueil pour immigrés du quartier de Tor Sapienza où il réside que José Monga-Pota a accepté de témoigner. Survêtement de l’équipe de foot du Brésil, gros pansement sur le front, ce Congolais de 52 ans – arrivé à Rome il y a deux mois parce qu’il était menacé par le régime de son pays – marche avec difficulté en raison de plusieurs côtes cassées. Il a désormais peur pour sa vie.
«Le 12 novembre vers 19 heures, je me rendais au supermarché quand une dizaine d’hommes m’ont barré le chemin, raconte-t-il. Ils se sont jetés sur moi en m’insultant en italien (ndlr: langue qu’il ignore). Pendant plusieurs minutes, ils m’ont roué de coups. J’ai cru mourir.»
José Monga-Pota n’est pas la seule victime du racisme qui dévaste les banlieues romaines depuis une dizaine de jours. Un adolescent du Bengladesh a subi le même sort et, dans plusieurs quartiers de la capitale, des comités anti-immigrés se sont formés.
Une tentative de viol contre une habitante de Tor Sapienza, à la périphérie Est de Rome, a mis le feu aux poudres. La victime, une femme de 28 ans qui se promenait avec son pitbull et n’a pas porté plainte, a décrit des agresseurs «de type européen, albanais ou roumains».
Assaut au Molotov
Mardi 11 novembre, la nouvelle se propage dans les barres d’HLM de la rue Morandi. Des hommes se rassemblent alors devant le centre «Un sourire», géré par une ONG ou résident 36 demandeurs d’asile. Les immigrés, pour la plupart des adolescents, sont libyens, érythréens ou égyptiens et ne correspondent pas à la description des agresseurs par la victime. Mais l’assaut est lancé contre le centre. Jet de pierres, cocktail Molotov: la bataille dure plusieurs heures. Treize des policiers arrivés sur place sont blessés, pour la plupart par des jets d’objets lancés des fenêtres par les riverains solidaires des assaillants.
Une semaine plus tard et alors que le quartier est quadrillé par les forces de l’ordre, quatre retraités tiennent une sorte de permanence devant le centre «Un sourire». «On n’en peut plus de tous ces immigrés, affirme Alberto. Il y a un camp de Roms à 500 mètres et, dans l’immeuble derrière nous, un prêtre loge 40 Roumains dans des caves. Cambriolages, agressions, viols. Les prostituées et les travestis font des passes dans les couloirs des immeubles et derrière les buissons. Les jeunes du centre, à qui l’Etat donne 40 euros par jour, se baladent à poil, crachent et jettent n’importe quoi par les fenêtres. Les dealers au moins, ils sont italiens et ils nous foutent la paix.» «Les Roumains ne sont pas 40 mais 300», surenchérit un autre acteur de ce Muppet Show sinistre. Renseignements pris, les Roumains ne sont que 20…
La xénophobie n’est toutefois pas le seul poison qui alimente la colère des résidents de Tor Sapienza. «Avant, c’était un quartier coquet, raconte Franco. Aujourd’hui les immeubles tombent en morceaux. Les éclairages publics sont cassés, les transports en commun inexistants, les rues défoncées. Les commerces ont fermé. Nous sommes comme dans une lointaine colonie oubliée par l’Etat italien…»
Maillon faible
Les incidents de Tor Sapienza ne sont pas un épisode spontané d’une guerre entre pauvres. «Les 36 adolescents ou jeunes adultes du centre «Un sourire» sont étrangers à la tentative de viol et, très encadrés, ils ne peuvent pas avoir commis ce dont on les accuse», explique Renata Sciatti, de l’ONG Sant’Egidio, très présente dans les quartiers. «Les assaillants les ont pris pour cible parce qu’ils sont le maillon le plus faible de l’immigration. En outre, les premiers agresseurs n’étaient pas du quartier et ils sont arrivés casqués et masqués. Ils ont manipulé les habitants qui sont désespérés et les ont suivis.» Une reconstitution confirmée par l’enquête.
Petits dealers italiens, hooligans liés à l’extrême droite et membres du mouvement néofasciste CasaPound sont soupçonnés d’avoir fomenté une révolte anti-immigrés destinée à s’étendre à toute la ville. Une dizaine de quartiers sont désormais sur le pied de guerre pour lutter contre «l’invasion des immigrés».
Si CasaPound exploite là son traditionnel fonds de commerce raciste, le thème de l’insécurité liée à l’immigration fait également les beaux jours… de la Ligue du Nord. Le mouvement créé par Umberto Bossi a en effet abandonné son credo séparatiste pour se rallier au drapeau de Marine Le Pen dont il est l’allié au Parlement européen. Avec comme programme «non à l’Europe et lutte contre l’immigration», la ligue a doublé ses intentions de vote en six mois. Son nouveau leader, Matteo Salvini, a aujourd’hui 21% d’opinion favorable. Il n’est devancé que par Matteo Renzi et sa formation aspire à devenir le second parti politique italien.
Rien n’indique concrètement que la Ligue du Nord est à l’origine des incidents de Tor Sapienza, mais c’est indiscutablement à elle que profite le crime.
(24 heures)