DÉRIVE: Au Brésil, la violence de la police n’émeut guère

Ana Paula reste médusée devant les images des émeutes de Ferguson aux Etats-Unis. «Quand la police tue un jeune ici, il n’y a pas une ligne dans les journaux et aucune réaction de la société», dit cette maman dont le fils de 19 ans a été tué d’une balle dans le dos par un policier de l’Unité de Police Pacificatrice (UPP) de la favela Manguinhos au nord de Rio de Janeiro.

En mai dernier, son fils Jonathan est sorti de chez elle pour apporter un gâteau à sa grand-mère. Sur le chemin, il s’est retrouvé au milieu d’une confrontation entre adolescents et policiers. D’un côté des jets de pierres, de l’autre des fusils. Dans sa déclaration, le policier qui a tiré sur le jeune homme affirme que Jonathan était armé; une version contestée par d’autres témoins mais qui permet de classifier le crime en «résistance à l’intervention policière» et d’éviter la prison préventive.

Exécutions sommaires
En attendant le jugement, le policier travaille toujours dans la même UPP de Manguinhos. Ana Paula, qui ne s’était jamais engagée avant la tragédie, a décidé d’agir: «La police tue nos jeunes dans l’indifférence générale; on ne peut pas continuer ainsi.» Elle revient juste de Brasilia où elle a accompagné des ONG au Congrès pour appuyer le projet de loi du député Paulo Teixeira (Parti des Travailleurs) contre la classification des crimes en «résistance à l’intervention policière». Dans son discours au Congrès, le député a souligné que «60% des crimes considérés comme des «actes de résistance» sont en réalité des exécutions sommaires qui ne font jamais l’objet d’enquêtes et restent impunies».

Permis de tuer
Le commissaire Zacone est un des rares policiers à avoir mis sous les verrous plusieurs de ses collègues. Pour sa thèse de doctorat rendue en 2013, il a étudié les fameux «actes de résistance». Sa conclusion est la même que celle du député: «La police a un permis pour tuer des trafiquants au Brésil. Quand vous avez des victimes qui ont huit balles dans le dos et que le Procureur estime qu’il y a légitime défense, vous comprenez bien que la police fait le sale travail d’appuyer sur la gâchette, mais elle le fait car la justice le légalise ensuite.»

Chiffres effarants
L’an dernier, 1250 Brésiliens ont été tués par la police. Entre janvier et octobre 2014, la police du seul Etat de Rio a tué 481 personnes: 98% étaient des hommes de moins de 25 ans et 77% étaient noirs. «Chaque année, la police de Rio de Janeiro tue plus que toutes les polices nord-américaines réunies. Le problème est que la société applaudit à ces interventions meurtrières dans les favelas, croyant que la police tue des criminels. Mais en réalité, elle tue en visant simplement les jeunes noirs», estime Silvia Ramos, spécialiste de la violence à l’Université de Rio de Janeiro.

Impunité
Theresa Jessouroun a enquêté cinq ans pour réaliser «A bout portant», un documentaire sur les morts par la police dans les favelas. Elle a voulu montrer, en plus de l’impunité, l’indifférence de la société brésilienne pour ces victimes. «Nous avons un taux d’homicide de 21 pour 100 000 habitants. Il n’est que de 1 pour 100 000 habitants en France par exemple. Mais cette violence est cachée, elle n’apparaît pas dans les médias ni dans les conversations car elle se passe en favelas, sur un territoire qu’on ne fréquente pas. Donc la classe moyenne blanche s’en moque», estime la documentariste.

Avec l’inégalité sociale, c’est le racisme qui est de suite évoqué par les spécialistes pour expliquer la violence policière. Des problèmes sociaux qui rappellent ceux de la société américaine mais où, à la différence du Brésil, la violence raciale n’est plus tolérée.

(24 heures)