FRANCE: «Pour Nicolas Sarkozy, on est avec lui, ou on est contre lui»

L’UMP élit son président aujourd’hui et demain. Le bureau de vote électronique est ouvert pendant 24 heures aux adhérents du grand parti de la droite française. La présidence ne devrait pas échapper à Nicolas Sarkozy qui a fait de ce scrutin la première étape de la reconquête du pouvoir: objectif l’Elysée 2017. Ses principaux adversaires sur sa route, dont le maire de Bordeaux Alain Juppé, exigent une primaire ouverte pour désigner le candidat de la droite.

Analyse d’un journaliste qui suit l’ex-président de la République depuis des années: Gérard Davet. Un des deux journalistes du Monde qui enquête sur la Sarkozie.

– Malgré tout ce que vous mettez en lumière dans votre livre «Sarko s’est tuer», Nicolas Sarkozy sera élu demain samedi président de l’UMP?
Ce n’est évidemment pas une surprise (rires). Il y a 270’000 adhérents à l’UMP, mais nous n’avons pas vendu autant de livres. De plus, les militants UMP sont très sarkozystes. Et j’ajouterais qu’il y a, par tradition française, une prime à la casserole. Il est rare que les élus en délicatesse avec la justice soient sanctionnés par les urnes.

– Nicolas Sarkozy sera donc le prochain président de l’UMP. Cette élection peut-elle mettre en danger le parti?
C’est dangereux pour l’éthique en politique. Nicolas Sarkozy n’est pas un despote ni un tyran. C’est un politicien très énergique qui n’hésite pas à remettre en cause l’ordre établi. Dans notre livre, nous développons l’idée qu’il est la première victime de son tempérament. Dans l’affaire Bygmalion, il faut savoir que l’UMP s’est porté partie civile. Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, aura donc accès au dossier de l’instruction dans laquelle il est lui-même attaquable par la justice. Le grand écart va être spectaculaire. Parallèlement, il va devoir combattre Alain Juppé. Pas sa popularité, le maire de Bordeaux pourrait lui barrer la route vers son rêve de reconquête de l’Elysée.

– Vous semblez parfois le disculper en évoquant le zèle de ses collaborateurs?
Il est l’objet d’une véritable dévotion de la part de ceux qui travaillent avec lui. Certains font preuve d’une rare efficacité pour lui plaire. Pour le coup, la plupart d’entre eux sont impliqués, cités ou poursuivies par la justice. C’est le cas, par exemple, du magistrat Philippe Courroye qui n’a pas hésité à outrepasser sa fonction – en nous mettant sur écoute, c’est l’affaire des «fadets» – pour apporter à son ami des informations et devancer ses désirs pour ainsi dire.

– Les affaires risquent donc de devenir l’argument principal de la campagne à droite en vue de 2017?
J’en suis persuadé. Le principal adversaire de Nicolas Sarkozy s’appelle Alain Juppé dont l’équipe de Nicolas Sarkozy n’a pas cessé, depuis son retour en grâce, de surligner qu’il était trop vieux et qu’il avait déjà été condamné par la justice. Nous connaissons tous Alain Juppé, c’est quelqu’un de très courtois mais qui rend coup pour coup. Le moment venu, il ne se privera pas de sortir aussi les onze affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy est cité. Cela va prendre de plus en plus de place dans le paysage politique français d’ici 2017.

– Dans le portrait que vous dressez de lui, on note l’influence «déstabilisante» que vous lui prêtez. Il fait «sortir de ses gonds» les gens les plus imperturbables…
Nicolas Sarkozy n’a pas que des défauts. Il a surtout une incroyable énergie qui peut se révéler positive. Lorsqu’il était président, ses actions lors de la crise économique ou lors de la guerre en Géorgie ont été remarquées. Nicolas Sarkozy n’obéit qu’à un seul dogme: tu es avec moi ou tu es contre moi. C’est pour cela qu’il a beaucoup de mal avec les médias: il n’arrive pas à comprendre qu’on salue une décision un jour et qu’on critique une autre le lendemain. Ce côté binaire de sa personnalité fait qu’il peut broyer, humilier et se montrer très agressif envers certains hommes politiques qui étaient ses proches. Patrick Devedjian ou François Fillon en ont fait les frais… Et ils le haïssent. Sans doute aussi parce qu’il a ce quelque chose que les autres n’ont pas: une forme de charisme.

– Nicolas Sarkozy, le grand rassembleur de l’UMP, vous n’y croyez donc pas?
Personne n’est dupe. Il n’a pas du tout changé. Et il ne veut pas de primaires ouvertes. C’est une bête politique qui prépare sans doute un coup. Paradoxalement, c’est quelqu’un de relativement prévisible et à la fois on sait qu’il peut nous étonner. Il faut s’attendre à quelque chose. Je ne crois pas qu’il se soumettra à une primaire en candidat comme un autre.

– Curieusement, vous n’êtes pas de ceux qui dénoncent une «Berlusconisation» de Nicolas Sarkozy?
Parce qu’avec Berlusconi, on est dans le ridicule absolu. Un incroyable mélange d’affaires d’argent, d’intérêts personnels, de sexe et discours politique qui s’allie clairement avec l’extrême droite. Avec Nicolas Sarkozy, on est vraiment à un autre niveau et dans tout autre chose. Bien que Nicolas Sarkozy ait pu parfois mordre sur l’électorat du FN avec certaines prises de position, cela n’a rien à voir. Nicolas Sarkozy est plutôt dans une dérive très française: une certaine manière de s’arranger avec les lois, de manipuler les gens.

– Vous lui prêtez donc une certaine sincérité qui l’amène à s’engager…
Nicolas Sarkozy est sincère, roué et agressif. J’insiste sur sa part d’agressivité qui vient ternir son bilan et son action. Depuis 2002 et son accession au poste de ministre de l’Intérieur, il a sans cesse eu de problèmes judiciaires. Et il n’est jamais capable de prendre du recul et de laisser la justice faire la lumière sur les affaires. Il est toujours dans la contre-attaque et la remise en cause de l’ordre qui lui demande des éclaircissements. Mais c’est très Français cette attitude! De mémoire, seul Dominique Strauss-Kahn avait démissionné de son poste de ministre quand il avait été mis en cause par la justice en 1999 avant de revenir dès qu’il a été blanchi. Mais c’est rare!

– On vous accuse également, vous et votre collègue Fabrice Lhomme, de n’être que les instruments du «Hollandisme le plus pervers» et participer d’un véritable cabinet noir de l’Elysée?
(Rires) Pervers n’est pas le terme qui me vient à l’esprit en pensant à François Hollande. Le «Hollandisme», je cherche encore ce que c’est. L’épisode François Fillon – Jean-Pierre Jouyet et l’embarras dans lequel nous avons mis le premier secrétaire de l’Elysée semble démontrer que nous ne travaillons pour personne à part nos lecteurs. Malheureusement nous vivons dans un pays où il est encore extrêmement compliqué de déranger le microcosme politique et journalistique parisien. Deux mondes très souvent en connivence.

Sarko s’est tuer, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock, 310 pages

(Newsnet)