
Si s’engager dans l’humanitaire ou partir faire le djihad sont des choix aux antipodes, ils ont une chose en commun: la colère. Waseem Iqbal a l’intention d’aller en Jordanie avec un ami pour venir en aide aux réfugiés syriens. Ce jeune homme de 27 ans qui vit à Birmingham a choisi le bénévolat plutôt que la violence.
«Comment sauver des innocents en Syrie? En allant dans un pays en guerre et en se faisant tuer, ou en leur amenant des motopompes, des écoles et des rations alimentaires? Voilà ce qui sauve des vies», déclare-t-il. Tous ne sont pas de son avis. Deux membres de son entourage, de jeunes Britanniques comme lui, ont été arrêtés et inculpés en vertu de la législation antiterroriste.
Comprendre ce qui anime les djihadistes est l’une des clés de la lutte contre ces vocations. Selon les chiffres officiels, un demi-millier de Britanniques se sont rendus en Syrie et les autorités craignent qu’ils ne poursuivent leur guerre sainte à leur retour.
Un basculement soudain
Iqbal arbore une longue barbe et porte une dichdacha, vêtement traditionnel qui descend jusqu’aux chevilles. Après avoir vécu plusieurs vies, il s’est engagé il y a un mois dans les rangs de la fondation Human Relief. Videur de boîte de nuit, il a également dirigé un studio de musique et exercé en tant qu’agent de sécurité, mais tout a basculé du jour au lendemain.
En l’espace de quelques semaines, un cousin plus âgé pour lequel il avait beaucoup d’estime est mort d’une overdose et son meilleur ami a été tué d’un coup de couteau.
«J’étais assis là, un soir, à fumer de l’herbe dans mon appartement qui domine la ville et j’ai commencé à me demander où tout ça menait, où ça s’arrêterait. J’ai passé la nuit à pleurer et j’ai réalisé que ce qui me manquait, c’était l’islam. Je me suis juré d’être un bon musulman et d’arrêter net toutes ces conneries», dit-il.
De la délinquance au djihad
Quelque 213’000 musulmans vivent à Birmingham, où ils représentent un cinquième de la population, selon le recensement de 2011. La communauté est toutefois concentrée dans certains quartiers populaires, comme celui de Balsall Heath, où vit Iqbal.
La «gang culture», culte de la virilité et de la défiance, qui y est très présente, conduit parfois à la violence ou au trafic de drogue, mais peut aussi mener au djihadisme. «C’est une question de reconnaissance. On veut appartenir à quelque chose, être craint ou respecté, avoir l’impression de servir une cause et se sentir utile», résume Iqbal.
Le politologue français Olivier Roy, spécialiste de l’islam, parle d’un «nihilisme générationnel», d’une jeunesse fascinée par la mort.
«Avec Daech (l’organisation Etat islamique), ces enfants perdus de la mondialisation, frustrés ou marginaux, se retrouvent investis d’un sentiment de toute puissance du fait de leur propre violence, de surcroît à leurs yeux légitime», dit-il dans un entretien publié début novembre par L’Express.
«Ce sont des jeunes qui cherchent leur guérilla, comme nous dans les années 1960. A l’époque, notre cause était la révolution, maintenant, c’est le djihad mondial», insiste-t-il dans une autre interview accordée à Libération.
«Nomades déracinés»
Citant l’historien Faisal Devji, auteur de l’essai «The Terrorist in Search of Humanity», il note que «mis à part le fait que les terroristes tuent, il n’y a pas de différence fondamentale» entre un humanitaire et un gars d’Al-Qaïda. «Ce sont des militants d’un monde global, des nomades, souvent déracinés», poursuit le chercheur, précisant que 20 à 25% des djihadistes sont des convertis.
Selon une étude de l’Université Queen Mary, l’idéologie religieuse n’est pas aussi déterminante que des caractéristiques telles que la dépression où l’isolement. L’un des deux suspects arrêtés pour terrorisme dont parle Iqbal était trafiquant de drogue, avant de redécouvrir la foi.
«Beaucoup de jeunes se sentent exclus à cause de l’islamophobie qu’on voit dans les médias», estime Abdul Waheed, un collègue d’Iqbal, qui dit avoir assisté au passage à tabac de son oncle quand il avait huit ans. «Ça reste en vous et ça crée de la rancœur. Mais le plus important, c’est de ne pas devenir celui pour qui il veulent vous faire passer», conclut-il.
(ats/Newsnet)