SIERRA LEONE: Face à Ebola, les villages s’organisent

«Ils sont partis avant qu’il tombe malade? Vous êtes sûrs?» demande Steven Senesi, en jetant un regard dubitatif à la liste de noms qu’il tient en main. Face à lui, derrière une corde rouge, vingt-cinq personnes, adultes et enfants, sont en quarantaine. Port-Loko, à trois heures de route de la capitale, Freetown, est l’un des foyers de l’épidémie d’Ebola (au moins 68 cas confirmés la semaine dernière dans le district, selon les chiffres du Ministère de la santé de Sierra Leone). Un membre de cette famille est mort du virus quatre jours auparavant. Le rôle de Steven Senesi est d’observer les proches de la victime et d’appeler au plus vite une ambulance s’ils montrent des symptômes de la maladie.

Policiers en faction

La veille, un des enfants du défunt, un petit garçon de 9 ans qui avait de la fièvre, a été emmené à l’hôpital et placé en salle d’isolement en attendant les résultats d’un test sanguin. C’est la seule manière de rompre la chaîne de transmission: identifier les malades et les personnes avec qui ils sont entrés en contact, les placer en confinement et les surveiller pendant vingt et un jours, la durée maximale d’incubation pour le virus Ebola.

Mais l’application de la règle est une autre histoire. Ce matin, deux jeunes hommes manquent à l’appel. La famille affirme qu’ils travaillent à Freetown. Steven décide de les croire. «Des policiers sont placés en faction devant la maison pour s’assurer que personne ne sorte, dit-il. Si les symptômes sont détectés suffisamment tôt, les chances de survie sont plus grandes et les risques d’infecter des proches sont moindres.» Le problème c’est que, pour des raisons logistiques, les quarantaines commencent rarement dès les premiers signes de la maladie.

L’accès à la nourriture est l’un des principaux obstacles. «La plupart des gens vivent au jour le jour. S’ils doivent rester chez eux, il faut leur fournir de quoi manger», constate Francis Boima, du Programme alimentaire mondial (PAM) à Freetown, qui distribue des rations de nourriture. Mais avec la croissance du nombre de nouveaux cas et les difficultés d’accès, l’organisation reconnaît qu’il est impossible d’atteindre tous les foyers.

Matelas partagés

La pauvreté, la proximité et les mauvaises conditions d’hygiène facilitent aussi la propagation du virus. Ebola se transmet par les fluides corporels des personnes infectées. Or ici, les familles partagent tout: matelas, toilettes, nourriture… «Brûler le matelas? Et où dormirait-on?» s’indigne Aminata Bangura, la seconde épouse du défunt, âgée de 18 ans et enceinte de 3 mois.

Face à la progression d’Ebola, les communautés essaient de s’organiser. Dans plusieurs villages, les visites de personnes étrangères ont été interdites par les chefs locaux. «Si quelqu’un est malade, on appelle tout de suite l’ambulance», dit Abdullah Kanu, le chef du village de Petfo, à une heure de Port-Loko, où l’épidémie a tué une soixantaine de personnes. Non loin de là, après plusieurs reports, un centre de traitement doit ouvrir ses portes dans les prochains jours. En attendant, un «centre de soins communautaire» a vu le jour il y a trois semaines. Il s’agit d’une structure plus petite, plus rapidement mise en place, faite de tentes en plastique qui permettent d’isoler les malades et de leur apporter les premiers soins. Il est géré par une poignée d’infirmières et des volontaires recrutés dans les environs, qui ont suivi une formation de quelques jours. «Je veux aider mon peuple, dit Adama Sankoh, l’infirmière en charge du centre. A l’hôpital, des malades arrivaient tous les jours, mais nous n’avions pas de protection adéquate. Ils mourraient dans les couloirs, sans que personne n’ose les toucher», raconte-t-elle.

Une approche discutable

Ces centres de traitement communautaires représentent une nouvelle approche, encouragée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Ils n’abritent qu’une dizaine de lits, mais si l’on parvient à en créer une centaine à travers le pays, cela pourrait faire une vraie différence», dit Winnie Romeril, porte-parole de l’OMS.

Mais d’autres organisations internationales pensent que ces centres risquent de mettre en danger un personnel pas suffisamment formé, voire les patients eux-mêmes. «L’idée n’est pas mauvaise, mais c’est sa mise en pratique qui pose problème, dit Monique Nagelkerke, cheffe de mission de Médecins sans frontières en Sierra Leone. Dans de nombreux centres d’isolement, les patients atteints d’Ebola et les autres sont maintenus ensemble, sous la même tente, pendant plusieurs jours. Ceux qui ne sont pas positifs en arrivant ont de fortes chances de le devenir.»

(24 heures)