
Pas de justice, pas de paix. Pas de police raciste.» Ce slogan né cet été à Ferguson dans le Missouri au moment de la mort de Michael Brown, un jeune Afro-Américain de 18 ans abattu par un policier blanc, a une nouvelle fois retenti dans les rues américaines dans la nuit de jeudi à vendredi. A New York, des milliers de personnes ont manifesté pour la deuxième nuit consécutive pour protester contre la décision du grand jury de Staten Island de blanchir mercredi l’agent de police blanc qui a causé la mort d’Eric Garner, un noir de 43 ans, il y a cinq mois.
Ces manifestations se déroulent alors qu’une nouvelle affaire secoue les Etats-Unis. Rumain Brisbon, un noir de 34 ans, a été abattu à bout portant par un policier dans l’Arizona mardi soir après avoir résisté à son arrestation et s’être battu avec lui. L’homme, qui était suspecté de vendre de la drogue, avait une arme dans son véhicule, mais a été tué au lors de sa fuite à pied.
A New York, les protestataires accusent avant tout la police de racisme, mais beaucoup d’entre eux y voient un mal endémique. «L’injustice est profonde aux Etats-Unis», assure Neal Thompson, un prêcheur blanc. «Les politiciens ne nous écoutent pas. Historiquement, les Blancs ont fait du tort aux Noirs. On ne peut pas en vouloir aux Noirs de se soulever contre l’injustice dont ils sont les victimes depuis longtemps.»
Cherjean Hayes, une jeune Afro-Américaine de 23 ans rencontrée la semaine dernière à Ferguson, peu après la décision du grand jury de la ville de ne pas poursuivre le policier qui a tué Michael Brown, réclame du changement: «Le racisme se poursuit et a ses racines dans la police et la justice, affirme-t-elle. Nous essayons de le stopper, mais ils (ndlr: les policiers) l’entretiennent car ils ont l’impression d’avoir du pouvoir sur nous.» La jeune femme voit dans la vague de contestation aux Etats-Unis la naissance d’un mouvement citoyen pour lutter contre les inégalités raciales: «J’ai une voix désormais, poursuit-elle. Je n’en avais pas avant ce qui s’est passé avec Michael Brown. Je veux qu’ils arrêtent de nous tuer et de s’en tirer à bon compte. Si l’inverse se produisait, nous terminerions en prison.»
Etudes parlantes
Plusieurs études académiques confirment l’existence d’un racisme latent aux Etats-Unis. L’une d’entre elles, réalisée par Devah Pager, une chercheuse de l’Université de Northwestern, montre que des Blancs avec un casier judiciaire ont plus de chances d’être convoqués pour un entretien d’embauche que des Noirs sans casier. Une autre enquête réalisée par l’Université de Chicago et le MIT a démontré que des demandeurs d’emploi portant un prénom associé aux Noirs ont deux fois moins de chances d’être convoqués à un entretien d’embauche que des demandeurs d’emploi ayant les mêmes qualifications qu’eux, mais portant un nom typiquement blanc.
A Paterson, une ville ouvrière de 150 000 habitants aux portes de New York, ravagée par la violence et la pauvreté, les avis sont divisés. «Ça va mal ici. Si vous êtes Noir, vous devez savoir où vous pouvez aller et où vous ne pouvez pas aller», assure Tahlil, un Afro-Américain de 26 ans. Assis dans une vieille pizzeria, James Anderson, 50 ans, soupire quand on lui parle de racisme: «C’est profond, dit-il avec une haleine alcoolisée. Mais il faut dire aussi que d’autres communautés ne livrent pas leurs enfants à eux-mêmes comme nous les Noirs. Moi, j’ai eu une mère alcoolique.»
De son côté, Julius Hargett, un Noir qui a un casier judiciaire, relativise: «Personnellement, je ne ressens pas le racisme. Mais c’est aussi parce qu’à Paterson, la majorité de la population est noire ou hispanique. Si j’avais grandi dans une banlieue blanche, je pense que cela aurait été très différent.»
(24 heures)