La presse française va mal

 

 

La presse française est en crise! Ces jours,Libération met le point final à son plan social – 70 journalistes s’en vont volontairement – et entame ses grands chantiers rédactionnels qui doivent le redresser. Car le titre poursuit sa chute: -10% en octobre. L’institution Le Monde traverse aussi une crise sans précédent (-2,5% en 2014 malgré une stratégie très offensive) qui l’a contraint à lancer de profondes réformes en lien avec le tournant numérique. Le Parisien (-7,8%) et sa déclinaison nationale Aujourd’hui en France (-8,6%) voient leurs ventes dévisser.

L’Humanité vient de lancer une souscription auprès de son maigre lectorat. Charlie Hebdo, le célèbre satirique, a lui besoin de récolter 1 million d’euros. Une collecte de fonds a été lancée en novembre. Le magazine dissident Siné fait appel à ses fans pour combler un trou de 100 000 euros. Hormis quelques journaux hors normes comme Le Canard enchaîné depuis des décennies ou Le 1depuis quelques mois (lire ci-contre), les indicateurs de la presse hexagonale sont au rouge.

En province aussi…

Cette crise touche aussi la presse hors Paris. Cette semaine encore, le quotidien d’obédience communiste la Marseillaise vient d’être déclaré en cessation de paiements. Cet automne Nice Matin, en faillite, a été repris par une coopérative de salariés qui s’est en partie financée chez l’homme d’affaires Bernard Tapie. De manière générale, la Presse quotidienne régionale (PQR) connaît une période de flottement illustrée par l’érosion des mastodontes de la PQR: Ouest France (- 2,3% en 2014) et Sud Ouest (-3,2%).

L’exception du Canard…

Dans ce paysage sinistré, la grande exception reste le Canard enchaîné. «En 2013, les chiffres ont été moins bons, mais cette baisse succédait à une hausse. C’est une stabilisation à 420 000 exemplaires payés», explique Erik Emptaz. Le rédacteur du Canard enchaîné vit, lui, une situation confortable. Son historique journal, sans pub et indépendant, passe pour insubmersible.

Etre un cas particulier ne l’empêche pas d’avoir un point de vue. Eric Emptaz: «D’une part, la disparition des kiosques va contre le réflexe d’achat d’un journal. Habitude déjà mise à mal par les sites d’infos gratuits. De plus, les journaux se ressemblent trop! Le Canard a une maquette reconnaissable entre mille et qui n’évolue pas au gré des modes. En France, la grande partie de la diffusion se fait en kiosque et non à l’abonnement», estime Erik Emptaz. S’il tient à rester prudent – «on vient de démarrer» –, le journaliste Eric Fotorino, fondateur de Le 1, parle lui aussi d’une crise du contenu autant que du support.

«Comme partout dans le monde, la situation de la presse française répond à un double mouvement: la dégringolade de la diffusion payante et celle des ressources publicitaires», explique Jean-Marie Charon. Ce sociologue est l’un des meilleurs connaisseurs de la presse en France et lui a consacré plusieurs ouvrages. Et de poursuivre: «Le management des entreprises de presse semble plus préoccupé par la recherche de la diminution des coûts que par celle de solutions.»

Trouver l’urbain non-parisien

Pub à la baisse, volatilisation des lecteurs et disparition des kiosques (à raison de 1000 par année depuis 10 ans, le réseau de distribution n’annonce désormais plus que 27 500 points de vente)… Tout va mal? Non, les ventes numériques progressent de près de 40% pour l’ensemble des titres. Mais cela ne compense pas dans un pays où la presse se vend surtout au kiosque (55%) beaucoup plus que par abonnement (35%). Bref, les ventes numériques ne représentent encore que le 7,5% de la diffusion totale.

«Kiosques? Offres? Contenus… C’est un discours de journalistes que je ne partage pas complètement», sentence sèchement Jean-Marie Charon. «Il y a plusieurs phénomènes. D’abord, la relative inadaptation des journalistes à la société française. C’est frappant en province! La PQR fait des gros scores en milieu rural avec un modèle rédactionnel axé sur le service et très consensuel. Mais elle ne parvient pas à offrir un contenu adapté aux grandes villes qui sont sur ses territoires. De l’autre côté, la presse nationale est avant tout parisienne. Elle s’intéresse peu à des villes comme Lyon, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, etc. Du coup, ces grandes agglomérations n’ont pas de presse écrite à la hauteur de leur activité…»

Presse inadaptée…

Un constat dur, mais que tous nos interlocuteurs partagent. «Ce n’est pas avec le robinet d’eau tiède de la presse généraliste que le papier résistera à la TV et aux sites d’infos en continu», estime Eric Emptaz. «Ce qui est frappant c’est que la presse au lectorat éduqué ne se tient pas trop mal. Par contre, les titres populaires connaissent des descentes vertigineuses. Il y a une vraie cassure. Pour beaucoup, la TV est devenue une pratique culturelle qui élimine la presse en général, en la presse d’opinion en particulier», glisse Jean-Marie Charon.

La presse d’opinion est-elle donc vouée à disparaître? Surtout si elle est de gauche, populaire… La souscription lancée par l’Huma, après celles de 2010 et de 2008, illustre les difficultés d’un titre qui pointe à 39 000 alors qu’il tirait à 400 000 exemplaires en 1945. «Le Parti communiste pouvait alors faire 20% à la présidentielle», souligne Jean-Marie Charon en guise d’explication.

…et presse d’opinion

Dès lors Le Figaro, avec + 0,2%, est le grand quotidien qui traverse le mieux la crise. C’est une constante que tous décrivent, au pays de l’alternance, les journaux d’opposition se portent toujours mieux. Voix historique de la droite conservatrice, Le Figaro, aujourd’hui propriété du sénateur UMP et industriel Serge Dassault, porte effectivement beau et se permet des Une anti-Hollande aussi vindicatives que celles du Canard enchaîné. Jeux de mots et humour en moins, évidemment.

Les chiffres et pourcentages de ventes sont tirés de l’OJD, organisme de référence de la presse en France. Site: www.ojd.com

(Newsnet)