GUERRE FROIDE: Regards de femmes d’affaires sur la crise menaçant la Russie

 

 

Ni femmes d’oligarques ni portemanteau pour maison de haute couture. Les décorations de Noël du Beau Rivage Palace renvoient un reflet flatteur de l’autre moitié de la Russie expatriée, ce jeudi soir. Et dressent un autre portrait de ses milieux d’affaires.

Parmi les quelque cinq cents convives invités par le guide Favorit – publication cyrillique ornant les tables basses de cliniques ou de cinq-étoiles helvétiques – de nombreuses créatrices d’entreprises. Inquiètes de la nuit qui s’est abattue sur les relations entre Moscou et les chancelleries occidentales.

«Bien sûr que tout le monde est sous pression – les Russes à cause des sanctions, les Ukrainiens à cause de l’effondrement de leur économie – mais ici, cette crise touche moins au business qu’au cauchemar d’une guerre entre deux peuples frères», juge Nataliya Netovkina, propriétaire des joailleries Natkina, croisée entre robes à paillettes et blazers sombres. Originaire de Kiev, cette dernière y retourne «de plus en plus» afin «d’y participer à l’implantation de la démocratie». Elle y a lancé un «mouvement civile» réunissant un demi-millier de «femmes d’influence» dans le pays.

Prix Favorit
Le prix décerné par Favorit afin d’honorer un entrepreneur russophone en Suisse revient à Jelena Gaszanova, directrice générale du Geneva Academic Center, une université privée préparant aux diplômes de deux universités moscovites. Ses inscriptions – le programme coûte environ 25 000 francs par an – font les frais de l’effondrement du rouble. «En l’espace de quelques mois, nos cursus sont devenus une fois et demie plus chers, inatteignables pour les membres de la classe moyenne en Russie», raconte cette ancienne économiste et mathématicienne en marchant sous les colonnes du palace d’Ouchy. L’école primaire fondée par cette Moscovite arrivée en Suisse en 1996 continue en revanche d’enregistrer un tiers d’inscrits en plus chaque année. Baptisée l’Oiseau Bleu et s’adressant aux russophones de la région, elle compte aujourd’hui 300 élèves.

D’une élégance rompant avec le «bling-bling» associé à l’Est, Ekaterina Isaeva s’inquiète surtout du photographe. «Il est bon, au moins?» sourit la fondatrice de Le Basis Sciences SA, petite société du Parc d’innovation de l’EPFL dédiée aux applications pour téléphones mobiles. Elle revient aux affaires. «Il faut être honnête, ici on ressent moins la crise; il faudra attendre l’année prochaine pour mesurer ses effets sur les décisions d’expatriation», estime cette Moscovite qui est arrivée il y a trois ans dans la région avec sa famille.

Séduit par le Léman
Aux yeux de Valentina Dizerens, directrice du courtier de la société immobilière Dom Swiss, «de plus en plus de gens sont attirés par une installation en Suisse en obtenant un forfait (ndlr: statut fiscal préférentiel) et non plus par une résidence secondaire».

Beaucoup sont arrivés dans des conditions plus favorables. Le Léman, la langue française les séduisent. La fiscalité ou la présence des banques permettent de convaincre Monsieur, qui s’imaginait tout autant à Londres. «L’intérêt de Londres pour un oligarque, c’est de ne pas être extradé quand la justice russe vous cherche», s’amuse une participante, avant de disparaître.

Sur les 26 000 résidents russophones en Suisse, «près de la moitié viennent de Russie», rappelle de son côté Olivier Mancassola, éditeur du guide Favorit. Environ quatre sur dix sont installés sur les bords du Léman.

«En Russie, les classes moyennes aisées ont été les premières touchées, ici cela s’est ressenti dans le luxe et le tourisme», observe de son côté Nadya Kalatur, rédactrice en chef d’une publication qui fête ses 5 ans. «La crise reste trop récente pour déclencher une vague d’arrivées de clients très fortunés, peut-être parce qu’une petite part seulement de leur fortune est placée en roubles», suggère celle qui gère également une société accompagnant dans leurs démarches en Suisse les Russes les plus aisés. Et notamment dans leurs séjours médicaux. «Souvent des hommes d’affaires qui, la quarantaine arrivée, viennent pour un check-up complet d’un jour ou deux dans une clinique – pour eux et souvent pour leurs parents», relate la jeune femme qui a grandi tout là-haut, à Mourmansk.

Une année 2015 décisive
A l’Est, les plus fortunés lorgnant la Suisse attendraient encore de voir la tournure prise par les événements. «L’année prochaine sera décisive», souffle Valentina Dizerens, la courtière en immobilier arrivée de Saint-Pétersbourg l’année de l’écroulement de l’URSS. Jelena Gaszanova, la directrice d’école, discerne une rupture plus profonde. Un regain du sentiment de fierté nationale «particulièrement vif parmi les jeunes, qui en viennent à dédaigner des études dans un environnement international que leurs parents rêveraient de leur offrir». Comme d’habitude, «la jeunesse reste toujours la plus influençable», soupire cette fille d’enseignants.

(24 heures)