
Moscou a gagné la Crimée mais perdu l’Ukraine. Le bilan de la guerre non déclarée que la Russie a menée chez son voisin ukrainien est paradoxal. Kiev a fait deux révolutions pour gagner sa pleine indépendance et se libérer une fois pour toutes de la tutelle de Moscou. Le Kremlin devait réagir. Mais comment? Au lieu de négocier un partenariat qui aurait maintenu l’Ukraine dans sa sphère d’influence, par ses actions militaires, Vladimir Poutine a fait grandir un patriotisme encore naissant en Ukraine. Désormais, il est pour les Ukrainiens la cause de tous les maux.
Après la prise de l’aéroport de Simferopol par des troupes sans insigne, le Conseil de la Fédération de Russie autorisait le déploiement de troupes russes dans la péninsule. L’importance stratégique de la base militaire de Sébastopol sur la mer Noire et une aspiration des populations locales à rejoindre la «mère patrie» justifiaient l’opération. En mars, le parlement de Crimée réclamait l’annexion, puis déclarait l’indépendance. Le résultat du référendum organisé dans un climat lourd légitimait définitivement le processus de rattachement à la Russie qui aurait pris quelques semaines.
Menée tambours battants par Vladimir Poutine, cette annexion a fait souffler un vent froid dans tous les pays voisins de la Russie. Et particulièrement chez ceux qui comptent une minorité russophone. Le maître du Kremlin s’était d’ailleurs posé explicitement en protecteur des minorités russes de l’étranger, inquiétant même son partenaire et vieux dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko.
Le soutien militaire aux séparatistes du Donbass dans l’est de l’Ukraine – où l’attachement à l’Ukraine dans la population est plus fort qu’en Crimée – n’a fait qu’amplifier les craintes des jeunes démocraties de l’Est. Dans les pays Baltes, en Pologne et jusqu’en Roumanie, l’annexion de la Crimée provoquait une demande de réassurance de la part de l’OTAN.
Malgré la fin de la guerre froide et la coopération qui s’était mise en place entre l’Alliance atlantique et la Russie, la logique des blocs est réapparue à la suite de cette annexion par la force. Le régime de sanctions mis en place par Washington et Bruxelles a touché les oligarques proches du Kremlin, que Poutine doit ménager pour s’assurer leur soutien. La Crimée, qui souffrait déjà de la fin des approvisionnements par terre, en provenance d’Ukraine, vient d’être frappée à son tour par des restrictions d’échanges imposées par l’Union européenne.
La semaine dernière, le Polonais Donald Tusk, nouveau président du Conseil européen, a appelé à une «stratégie adéquate et solide, à la fois ferme et responsable» vis-à-vis de la Russie. Avec la baisse du prix du pétrole et une chute du rouble – qui a perdu 42% de sa valeur depuis le début de l’année – Poutine pourrait revoir sa politique en Ukraine. La Crimée restera dans le giron. Mais à quel prix!
(24 heures)