ATTENTAT CONTRE CHARLIE HEBDO: Adieu Charb, Cabu, Wolinski et Tignous

 

Les terroristes savaient bien ce qu’ils faisaient. La liberté d’expression, ils l’ont visée au cœur. Depuis plus d’un demi-siècle, Wolinski et Cabu ont dessiné l’irrévérence, la satire, mais aussi la joie de vivre, légère comme une chanson de ce Trénet que Cabu aimait tant. Bref, toutes choses que l’obscurantisme barbu réprouve et réprime. Combien de baudruches leur crayon n’a-t-il pas crevées dans un grand éclat de rire? Leurs dessins ont aussi contribué à faire de Mai 68 la grande fête de l’insolence. Sans eux, sans leur talent et celui de bien d’autres artistes, elle n’aurait été qu’un mouvement de rue. Ils en ont fait une insurrection de l’esprit. C’est aussi la deuxième mort de Mai 68 que les terroristes ont signée.

Des talents purs

Georges Wolinski est né le 28 juin 1934 à Tunis d’une mère franco-italienne et d’un père d’origine judéo-polonaise. Lorsque le trio Cavanna-Choron-Fred fait exploser la bombe Hara-Kiri en 1960, il y envoie aussitôt ses dessins. François Cavanna, qui à l’œil pour débusquer les talents, le fait entrer dans son équipe, même si le trait du jeune Wolinski n’est pas encore assuré. C’est en 1968 qu’il trouve toute sa mesure. Son style est désormais affirmé en trouvant ce trait épuré et vif, faussement désinvolte qui fait sa marque.

Sur cette lancée, Wolinski sera réclamé par de nombreux journaux de tempérament fort disparate. Mais il reste fidèle à l’équipe de Cavanna qui l’a installé rédacteur en chef de Charlie Hebdo de 1970 à 1981. Et il participera à la résurrection de l’hebdo dès 1992. Ses incursions dans la pub lui vaudront moult reproches qu’il étouffait dans un grand nuage de havane. Et si son ton est devenu, avec le temps, moins mordant, il n’en a pris que plus de saveur, en cultivant l’amour des belles formes féminines, la nostalgie tendre et grivoise. Mais dès que le besoin s’en faisait sentir, les griffes de ce matou rigolard ressortaient aussitôt pour griffer les importants importuns. A Genève, Wolinski le bon vivant avait ses habitudes au Café du Soleil, au Petit-Saconnex.

Né le 13 janvier 1938, Cabu – de son vrai nom Jean Cabut – a suivi des études artistiques et s’est consacré au dessin de presse dès l’âge de 16 ans, au quotidien L’Union de Reims. Mobilisé pendant deux ans dans l’armée française durant la Guerre d’Algérie, il en ressort révolté contre la politique coloniale, anarchiste et pacifiste acharné. Peu après sa démobilisation, Cabu est happé par la bande à Cavanna-Choron, dès 1960. Parallèlement, il collabore à Pilote, magazine de bande dessinée pour la jeunesse, dirigé par Goscinny, le coauteur d’Astérix. Loin du caractère grinçant de ses dessins à Hara-Kiri, il y cultive un tout autre style, à la fois tendre et poétique. A Pilote, il crée l’un de ses personnages fétiches, le Grand Duduche, qui ressemble comme deux gouttes d’encre au lycéen châlonnais qu’il était, longiligne, la tête dans les nuages et le cœur auprès de l’inaccessible fille du proviseur.

Mai 68 lui permettra aussi d’éclater son talent. Il rencontre un succès considérable dès les années 70; il est impossible d’énumérer tous les médias, y compris audiovisuels, qui ont publié ses dessins. Son personnage du Beauf restera l’emblème du petit-bourgeois encrassé dans ses préjugés. Ne dit-on pas, en voyant un quidam dans la rue, «tiens, on dirait un Beauf à la Cabu»? Pour Le Canard Enchaîné, il fera également le Nouveau Beauf, portant catogan, gilet de chasseur, santiags et mine satisfaite.

Tignous (58 ans) et Charb (48 ans) sont trop jeunes pour avoir participé à Mai 68, mais ils en sont les héritiers en ligne directe. Tignous, pseudonyme de Bernard Verlhac, était l’un des piliers du Charlie Hebdo actuel. Charb, lui, a pris la tête du magazine en 2009 après le départ de Philippe Val. Sous protection rapprochée depuis plus de trois ans, il a toujours refusé de céder devant les menaces des islamistes.

Bernard Maris tué

Enfin, outre les dessinateurs évoqués, figure parmi les victimes l’économiste Bernard Maris, collaborateur de plusieurs médias, chroniqueur à France Inter et conseiller scientifique d’Attac. Il signait sous le pseudonyme d’Oncle Bernard une remarquable rubrique de vulgarisation économique.

Rappelons ce qu’en septembre 2012, Charb déclarait à notre journal: «Ce ne sont pas les lois sur la presse qui menacent la liberté d’expression, mais l’autocensure. S’il faut chaque fois nous limiter pour tenir compte des contextes, alors nous ne pouvons plus faire de caricatures, plus écrire d’articles, plus nous exprimer.»

(24 heures)