Les pleurs et le désarroi dans un quartier meurtri

 

Une femme arrive en pleurs et fend la foule des journalistes et des curieux amassée devant le cordon de sécurité, boulevard Richard-Lenoir, à Paris. Il y a à peine une heure que l’attaque terroriste a été perpétrée dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo. Tout le quartier est bouclé. Les nombreuses voitures de police, ambulances et véhicules de pompiers composent avec les innombrables agents de ces trois corps une fresque terrifiante. L’horreur de cette tuerie de sang-froid a eu lieu, là, à quelques dizaines de mètres, rue Nicolas-Appert.

La trentenaire au look baba cool est bouleversée, confuse, elle demande à passer. De toute évidence, elle connaît quelqu’un à la rédaction du célèbre hebdomadaire satirique. Est-ce une épouse, une sœur, une amie? Elle s’en va, accompagnée d’un CRS, vers le QG des forces de l’ordre qui a été aménagé dans la bouche de métro Richard-Lenoir. Fermé au public sur ordre de la préfecture. Elle veut des informations.

«On a compris que c’était grave»

Des informations pour comprendre, c’est ce que tout le monde veut. Les journalistes, français et correspondants du monde entier, les glanent auprès des habitants du quartier. La patronne du bar tabac proche, sur le trottoir malgré le froid piquant, tire fiévreusement sur sa cigarette, et répète inlassablement la même litanie aux médias qui l’interrogent. Elle a entendu des bruits! Elle n’a pas compris tout de suite que c’était des coups de feu. Elle a saisi instinctivement qu’il se passait quelque chose de grave. Mais maintenant, elle aimerait des réponses: «C’est l’horreur! On va où?» A l’intérieur, devant le zinc, les discussions vont bon train. «La démocratie, c’est la liberté d’expression», résume un client dans la posture de celui qui ne veut pas céder à l’émotion.

L’émotion, elle rejaillit, violente, quand des personnalités politiques reviennent du périmètre de l’enquête et témoignent de ce qu’ils ont vu sur les lieux du drame. «C’est un attentat majeur», résume, lapidaire, Jean-Luc Mélenchon. «C’est un carnage! Il va falloir une réaction nationale, très forte!» souffle Pierre Laurent. Le secrétaire national du Parti communiste français explique compter des amis parmi l’équipe de Charlie Hebdo. Sa voix le lâche, trahit l’émotion, il abrège l’interview, s’excuse. Ce n’est plus un politique, c’est un ami meurtri, horrifié.

Politiciens sonnés

Le président de la République François Hollande, le premier ministre Manuel Valls, la maire de Paris Anne Hidalgo aussi sont là, rue Nicolas-Appert, pour prendre la mesure de ce qui s’est passé. «C’est proprement inadmissible! François Hollande l’a dit et je le répète», s’émeut encore Jean-Paul Huchon. Le président du Conseil régional d’Ile-de-France est de la délégation officielle du gouvernement. «On est donc passé au stade écarlate «attentat» pour Vigipirate. C’est le stade le plus élevé. La sécurité des bâtiments publics, des magasins, des transports publics est désormais maximale. Et nous en appelons à la vigilance de chacun, mais sans céder à la psychose!» rappelle Jean-Paul Huchon.

Il n’empêche, l’émotion parcourt toujours l’improbable attroupement de citoyens venus dire leur solidarité, de journalistes et de policiers en faction. Ces deux dernières corporations se tancent ainsi d’une manière malhabile qui dit la commotion de tous. «Laissez-nous travailler, on a perdu des confrères!» «Nous aussi, on a perdu des collègues!» entend-on, avant que retombe un court silence. Bientôt déchirée par les informations confirmées. «Wolinski est mort! Cabu est mort! Charb aussi!» Ces mots sont dits comme si chacun les connaissait personnellement. L’émotion est palpable dans cette rue Nicolas-Appert, en plein Paris, où douze personnes ont été exécutées dans des circonstances qui relèvent de l’action de guerre.

Ainsi, selon les faits qui commencent à être confirmés, il était 11h30 quand deux hommes lourdement armés de kalachnikovs et d’un lance-roquettes se sont introduits dans les locaux du journal satirique pour y perpétrer un véritable massacre. Douze morts, onze blessés dont quatre graves sont ainsi à déplorer.

Le journal, menacé de longue date, ainsi que plusieurs dessinateurs à titre personnel, bénéficiaient d’une sécurité, c’est le cas de Charb dont le garde-du-corps a été abattu dans la fusillade. Parmi les victimes, on compte deux policiers, et huit journalistes dont plusieurs figures historiques de Charlie Hebdo: Cabu, Wolinski, Tignous et Charb.

Les témoignages des personnes ayant vécu l’attaque corroborent l’hypothèse d’hommes aguerris au maniement des armes et ayant préparé leur attaque. Ainsi la dessinatrice Coco qui travaille pour Charlie Hebdo raconte dans l’Humanité: «En arrivant devant la porte de l’immeuble du journal, deux hommes encagoulés et armés nous ont brutalement menacées. Ils voulaient entrer, monter. J’ai tapé le code. Ils ont tiré sur Wolinski, Cabu. Ça a duré cinq minutes… Je m’étais réfugiée sous un bureau… Ils parlaient parfaitement le français… Se revendiquaient d’Al-Qaida.»

Par ailleurs, des journalistes de l’agence Première ligne télévision, située en face de la rédaction de Charlie Hebdo, ont filmé depuis le toit de l’immeuble où ils s’étaient réfugiés des images de la fuite des assaillants. On y voit deux hommes encagoulés tirer à l’arme automatique et toucher un policier sur le trottoir avant de l’achever froidement malgré les gestes de supplication de ce dernier. On les entend clairement crier «Allah Akbar». Ils montent ensuite dans une Citroën noire et prennent la direction de la Porte de Pantin, dans le nord de Paris. Dans leur course, ils changent au moins deux fois de véhicule. Hier soir, la police a identifié trois suspects âgés de 18, 32 et 34 ans, originaires de Gennevilliers, en banlieue parisienne. Ils sont connus des services de police.

(24 heures)