
Après le massacre à la rédaction de Charlie Hebdo, l’amalgame entre islam et terrorisme fait partie des craintes les plus couramment exprimées. A ce propos, nous avons interviewé Samir Amghar, sociologue français, docteur de l’Ecole des hautes études de sciences sociales (EHESS) de Paris et chercheur à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il est l’auteur notamment de L’islam militant en Europe (Editions Infolio).
Après l’attentat contre Charlie Hebdo, de nombreuses voix s’élèvent pour combattre tout amalgame entre l’islam et le terrorisme. Cet amalgame, comment se forme-t-il?
Il y a en France et, plus généralement en Europe, un phénomène d’essentialisation des musulmans qui sont renvoyés systématiquement à leur pratique religieuse, en leur déniant leur qualité de citoyen. Ils deviennent la figure de l’altérité par excellence et sont requis de dénoncer publiquement chaque acte de barbarie qui se commet, non pas en tant que citoyens mais en tant que musulmans. Il y a en creux cette idée sous-jacente qu’au fond les musulmans approuvent ces actes, tout en faisant mine de les condamner en parole, qu’ils forment une cinquième colonne et qu’ils ne sont pas intégrables aux sociétés européennes. C’est aussi inacceptable que si l’on demandait aux juifs, en tant que juifs, de se désolidariser d’Israël à chaque violence en Palestine. C’est comme citoyen de la cité, à l’égal de tous les autres, que le français de confession musulmane doit réagir. Et non pas comme appartenant à une religion.
Ne craignez-vous pas qu’à la suite du massacre à la rédaction de Charlie-Hebdo, cet amalgame va se développer?
C’est à craindre en effet. Car le traumatisme que vit maintenant la France est très profond. Cet acte terroriste – le plus important depuis un demi-siècle – a un impact encore plus important que celui provoqué par l’affaire Merah, dans la mesure où les victimes représentent la culture française dans ce qu’elle a de plus caractéristique.
L’Arabie saoudite ne finance-t-elle pas en France des imams qui prônent un islam tellement rétrograde qu’il peut verser dans la violence terroriste?
S’il est vrai que l’Arabie saoudite soutient la diffusion d’un islam de type salafiste en France, il n’en demeure pas moins qu’il s’oppose au djihadisme. Le royaume a tout intérêt à empêcher la diffusion d’un terrorisme dont il serait l’une des premières victimes. Les Saoudiens ont même recommandé aux responsables religieux en Europe de collaborer avec la police pour éradiquer la radicalisation des jeunes musulmans.
Comment surmonter cet amalgame entre l’islam et le terrorisme?
Il faut faire preuve de pédagogie de façon systématique afin de démontrer en quoi cette religion n’a rien à voir avec les dérives qui se réclament d’elle. Et surtout, considérer enfin les Français musulmans pour ce qu’ils sont, à savoir des citoyens qui doivent se prononcer en tant que tel et non pas comme pratiquants d’une religion.
Comment expliquer que des jeunes de nationalité française, éduqués en France tombent dans le djihadisme?
Tout d’abord, il y a l’emploi par des propagandistes de versets du Coran prônant la guerre sainte. Ces versets sont sortis de leur contexte pour servir une idéologie de la violence. De même, la notion de djihad est pervertie et même défigurée. En arabe, ce mot signifie «effort». Le djihad majeur, c’est le combat contre ses passions intérieures, ses défauts. Et le djihad mineur, c’est effectivement la guerre sainte mais uniquement lorsque les musulmans sont attaqués. Bien entendu, les idéologues n’insistent que sur l’aspect guerrier et ignorent le principal, à savoir le caractère spirituel de cette notion.
Toutefois cela ne suffit pas à expliquer ce phénomène…
Bien sûr, je vois deux autres facteurs. Le premier est qu’un jeune qui est en désaccord avec une politique ne passe plus par la médiation des partis politiques. Jadis, le Parti communiste français et les syndicats de gauche portaient les doléances des jeunes, ce qui courcircuitait le recours à la violence révolutionnaire. Aujourd’hui, cette médiation n’existe plus. Le jeune qui se trouve en opposition est donc tenté de passer directement à l’action violente. Le second facteur est le sentiment partagé par les musulmans de France d’être montrés du doigt. Cela conforte certains dans l’idée qu’ils ne seront jamais perçus comme des citoyens à part entière, d’où le développement des ressentiments à l’égard d’une société qui semble incapable de les considérer autrement qu’en tant que membre d’une communauté religieuse. Cette situation fait le lit de tous les extrémismes qu’il soit islamiste ou populiste.
(24 heures)