Réaction: Philippe Geluck: «C’est la fin de l’insouciance»

 

Dans l’attentat contre Charlie Hebdo, le dessinateur belge Philippe Geluck a perdu des proches. «Tous étaient mes amis, certains étaient mes maîtres. Wolinski et Cabu, je les lisais gamin; ils m’ont donné envie de faire ce métier. Les autres, Charb, Tignous, étaient des copains. Des doux, des pacifiques, ce qui rend les choses plus pénibles encore. Je suis empli de chagrin et d’incompréhension. C’est la fin de l’insouciance: des mômes qui jouaient avec des pistolets à bouchon ont été exécutés à la kalachnikov…»

Le père du Chat, qui dessine toujours dans Siné Mensuel, est lui aussi un de ces «mômes qui jouent avec un pistolet à bouchon». Se sent-il aujourd’hui menacé de mort? «Avant mercredi, je n’y avais jamais pensé. Je ne fais pas partie, je crois, des gens qui ont enfreint ces règles que certains ont posées.» Contrairement aux dessinateurs de presse de Charlie Hebdo, Geluck ne parle que de la religion catholique. «Si j’ai fait une Bible selon Le Chat, je n’aurais jamais dessiné un Coran selon Le Chat. Cela ne serait pas dans mes gènes culturels, dans l’ADN de mon humour, je me sentirais en intrus. Je n’ai jamais caricaturé le prophète car si je le faisais, il me semble que je blesserais des gens qui n’auraient pas la clé de mon univers. Comme c’est le cas des chrétiens lorsque je dessine l’Ancien Testament.»

La question cruciale du blasphème

Le dessin anticlérical, rappelle-t-il, est une tradition dans la presse occidentale depuis la fin du XIXe siècle. «Avec des musulmans religieux et pieux – je le sais pour en avoir discuté avec plusieurs d’entre eux – nous n’avons pas la même grille de compréhension: la question cruciale est chez eux celle du blasphème, si intolérable qu’il les fait réagir avec une violence aveugle; ils sont également convaincus de l’existence et de la toute-puissance de leur dieu, et le doute ne semble pas faire partie de leur mode de pensée. Alors que chez les chrétiens, c’est le cas. Pour preuve, je n’ai reçu que très peu de protestations à la suite de La Bible selon Le Chat

Plutôt que d’autocensure, Geluck préfère parler de «sensibilité» lorsqu’il s’abstient de railler la foi de personnes qui, peut-être, ne comprendraient pas sa démarche: «Même si je continue à penser qu’on peut rire de tout, je reviens à ce que disait Desproges: «Oui, mais pas avec tout le monde.» Au moment de la sortie de mon livre Peut-on rire de tout?, j’ai cité Wolinski: «L’humour est le plus court chemin d’un homme à un autre.» Redire cette phrase aujourd’hui fait froid dans le dos. Les hommes qui ont fait ça sont-ils encore des hommes?»

(24 heures)