
La France a vécu vendredi une journée de cauchemar, éprouvante, chaotique. Des heures historiques et surtout dramatiques. Il n’est pas encore 17 heures quand les deux prises d’otages qui tiennent en haleine l’Hexagone depuis le début de la matinée connaissent leur épilogue. A Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), nord-est de Paris, les frères Chérif et Saïd Kouachi sont tués dans l’assaut des forces de police. L’«otage» est libéré sain et sauf.
A la Porte de Vincennes, dans l’est de Paris, l’opération est moins «heureuse». Car quatre otages sont morts, tout comme le terroriste Amedy Coulibaly. Ce dernier est l’auteur de l’assassinat d’une policière municipale, jeudi, à Montrouge, dans le sud de Paris. Il est peu après 17 heures quand les forces d’élite du GIGN donnent l’assaut de l’épicerie casher où le forcené retient une dizaine de personnes depuis le début d’après-midi. C’est un bain de sang: outre les cinq morts, les autorités annoncent plusieurs blessés graves, un pronostic vital engagé et seize gardes à vue.
Cinquante-quatre heures. C’est la durée de cette incroyable séquence de terreur et de fureur meurtrière sur le territoire français. Une série inouïe! Depuis mercredi midi, heure de l’attaque de la rédaction de Charlie Hebdo, jusqu’à la conclusion des deux assauts de vendredi à 17 heures, on dénombre dix-sept morts et neuf blessés graves du côté des victimes. Les trois criminels auteurs des agressions ont été abattus. Au-delà de l’effroyable bilan humain, il y a encore le tsunami d’émotion et de réactions qui a submergé la France. Chacun dans la rue, comme parmi les élus, en convient: la France vit son 11 septembre (lire ci-contre) et les blessures vont perdurer au-delà de la grande marche républicaine de dimanche.
Deux affaires liées
Vendredi soir, il restait encore de nombreuses zones d’ombre. Notamment autour du projet sanglant d’Amedy Coulibaly, 32 ans, grandi dans l’Essonne. Le preneur d’otages de la porte de Vincennes a-t-il agi seul? La police recherche encore activement sa compagne: Hayat Boumeddiene (26 ans). Le déroulement des faits de la prise d’otages dans l’épicerie casher n’est pas encore tout à fait clair. Selon certaines sources, trois des quatre otages ont été tués dès 13 heures, lorsque Amedy Coulibaly a fait irruption dans ce magasin très fréquenté en ce vendredi de shabbat. Et non lors de l’assaut en fin de journée.
Avéré en revanche, le lien entre la folie meurtrière d’Amedy Coulibaly et celle des frères Kouachi. Mais il reste encore à déterminer sa nature précise. En effet, Amedy Coulibaly connaissait Chérif Kouachi, le plus jeune et le plus radical des tueurs de Charlie Hebdo. Les deux hommes sont devenus amis en prison en 2008. Et contrairement à ce qui avait été avancé, Amedy Coulibaly n’est pas lié à la filière djihadiste vers l’Irak des Buttes-Chaumont dans le XIXe arrondissement de Paris (en 2004).
«Les frères Kouachi étaient connus de nos services mais rien n’indiquait qu’ils pouvaient s’engager dans des actes de ce type»
Le tueur de Montrouge et de la Porte de Vincennes s’est donc radicalisé à sa sortie de prison et notamment à partir de 2010. Période à laquelle Amedy Coulibaly et Chérif Kouachi vont à de nombreuses reprises dans le Cantal pour rendre visite à Djamel Beghal, un prédicateur radical assigné à résidence dans un village d’Auvergne. Il apparaît dès lors, selon les indiscrétions policières disponibles, que le jeune homme abandonne toute idée de s’insérer et de trouver un emploi. Contrairement aux vœux qu’il émettait en 2009 lorsqu’il fut choisi parmi un groupe de jeunes pour rencontrer le président de la République Nicolas Sarkozy à l’Elysée!
BFMTV, chaîne d’info en continu, avec laquelle Amedy Coulibaly est entré en contact lors de la prise d’otage, avance qu’il aurait avoué «s’être synchronisé» avec les tueurs de Charlie Hebdo: «Eux Charlie, moi les policiers!» aurait-il affirmé. S’il dit vrai, le passage à l’acte des frères Kouachi était donc le signal pour réveiller sa folie meurtrière, pour lancer une opération de mimétisme meurtrier. Amedy Coulibaly aurait également revendiqué cibler précisément des juifs en s’attaquant à une épicerie casher. Il aurait agi pour le compte du groupe Etat islamique, et non Al-Qaida.
«Al-Qaida au Yémen»
Chérif Kouachi a lui aussi parlé par téléphone avec un journaliste de BFMTV durant la prise d’otage à Dammartin-en-Goële. Celui qui est considéré comme le meneur de l’attaque contre Charlie Hebdo affirme être envoyé par «Al-Qaida du Yémen». On entend dans cet enregistrement, le djihadiste, pourtant retranché depuis des heures, parler d’une voix calme et expliquer avoir été formé par l’imam Anwar Al Awaki. Ce prédicateur américain d’origine yéménite est considéré comme un des cerveaux d’Al-Qaida. Il a été tué par un drone américain en septembre 2011.
La traque des tueurs des dessinateurs de Charlie Hebdo a finalement duré deux jours. C’est vendredi matin que les deux hommes se retranchent dans une imprimerie familiale. Un employé de 26 ans, Lilian, s’est réfugié au premier étage de l’entreprise. Durant toute la durée du siège, il communiquera avec la police sans que les deux frères ne le voient. «C’était un otage par destination», explique une source policière à l’AFP. Mais à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), 8500 habitants, non loin de l’Aéroport Charles-de-Gaulle, la peur des habitants est grande. Les écoliers sont confinés dans leurs salles de classe afin de sécuriser au maximum cette petite bourgade devenue le théâtre d’une guerre bien réelle. C’est du moins comme ça que l’ont vécue les citoyens, rencontrés à Dammartin, dont la préoccupation première était, avec le traumatisme des enfants, le sort de celui qu’ils croient otage des deux terroristes.
Le soulagement est arrivé peu après 17 heures quand les troupes du GIGN, dans une fusillade qui a duré à peine quelque trente secondes, ont abattu Saïd et Chérif Kouachi, 34 et 32 ans. Et l’otage est sorti indemne de cette opération définie comme réussie sur le plan de la sécurité policière. Il apparaît ainsi que les frères Kouachi ont tenté de sortir de l’entrepôt en faisant feu en direction du GIGN. Sans doute, les deux djihadistes, à bout de forces après plus de 48 heures de traque, choisissaient de mourir dans un dernier éclat de violence.
«Branquignoles» très pros
Entre-temps, les derniers éléments d’informations révélés sur le profil des frères Kouachi permettaient d’y voir plus clair. «Les frères Kouachi étaient connus de nos services mais rien n’indiquait qu’ils pouvaient s’engager dans des actes de ce type», a expliqué le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Manière d’avouer les faiblesses des renseignements français. Car du côté des Etats-Unis, les deux hommes étaient signalés comme dangereux et avaient été repérés dans des camps d’entraînements paramilitaires.
Il est ainsi avéré que Saïd Kouachi a séjourné au Yémen en 2011 où il a été formé au maniement des armes, aux techniques des combat et à la résistance au stress lors d’opérations spéciales. Chérif Kouachi a, lui, voyagé en Moyen-Orient, mais il n’est pas établi qu’il y ait rencontré des combattants. En revanche, une chose est certaine, tous deux étaient fichés par les Etats-Unis comme des «djihadistes aguerris» alors que la France tenait les deux frères pour des «branquignoles», des amateurs désinvoltes. Ils ont fait la preuve du contraire.
(24 heures)