La France, submergée par l’émotion, dit non au terrorisme

 

Un million et demi de personnes, des larmes, des sourires, et un cri : «Charlie! Charlie!»: Paris a connu dimanche un rassemblement d’une ampleur inouïe pour dire non au terrorisme, une marche marquée aussi par la stupéfiante image de dirigeants internationaux battant le pavé parisien. En tout, les manifestations contre le terrorisme dans la France entière dimanche ont réuni au moins 3,3 millions de personnes, selon des chiffres provisoires fournis par les autorités et les organisateurs, et compilés par l’AFP à 18h45.

Sans précédent

Le rassemblement est «sans précédent» et un comptage officiel est «impossible», a même reconnu le gouvernement, alors que plus d’un million de personnes ont aussi manifesté en province, pour exprimer leur solidarité avec les victimes d’une série d’attaques ayant fait 17 morts et une vingtaine de blessés en trois jours en France. Il pourrait s’agir de la plus importante mobilisation en France depuis la Libération en 1944.

Dans une atmosphère à la fois recueillie et joyeuse, solennelle et bon enfant, une foule de tous âges a envahi les grandes artères menant à la place centrale de la République, lieu de départ du cortège organisé. Mais beaucoup doutaient d’y arriver avant plusieurs heures

Dimension planétaire

La marche était également inédite par sa dimension planétaire et cette image de dirigeants et responsables étrangers dont certains sont en conflit – Israël-Palestine, Ukraine-Russie… – serrés les uns contre les autres et défilant sur quelques centaines de mètres.

Séparés par un cordon de sécurité, ils ont commencé à marcher un peu avant 15h30, avec le président français à leur tête. François Hollande était entouré, bras dessus bras dessous, du président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, et de la chancelière, Angela Merkel. Ces deux-là donnaient respectivement le bras au premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.

Les dirigeants ont défilé pendant un quart d’heure, visiblement pour montrer qu’ils n’avaient pas peur, avant de repartir pour leur pays. En tout, 130 pays étant représentés, dont la Suisse, avec la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga, présente en première ligne, notamment à côté de l’Italien Matteo Renzi.

Après le départ de ses invités, M. Hollande est resté quelques dizaines de minutes de plus dans la foule pour dialoguer et serrer dans ses bras les proches des victimes en pleurs, portant les noms des morts, ainsi qu’avec des membres de «Charlie Hebdo».

Il a ensuite rendu visite à la famille d’Ahmed Merabet, le policier exécuté mercredi par les tueurs de «Charlie Hebdo», avant d’aller se recueillir à la synagogue en compagnie de Benjamin Netanyahu en hommage aux victimes de la supérette casher.

Du jamais vu

La manifestation de Paris était sans conteste la plus importante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle a rassemblé plus de monde que celles de 1968 en soutien au général de Gaulle ou de 1984 pour l’école libre.

La présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga s’est montrée impressionnée par la marche de solidarité à laquelle elle a pris part dimanche à Paris. «Cela m’a personnellement émue», a-t-elle déclaré. On a senti de cet énorme rassemblement «une force commune».

La Bernoise, arrivée à l’Elysée à Paris peu avant 13h00 dimanche, a défilé aux côtés d’une cinquantaine chefs d’Etat et de gouvernement sur la Place de la République pour dénoncer la tuerie mercredi dernier

Paris capitale du monde

«Paris est aujourd’hui la capitale du monde. Le pays tout entier va se lever vers ce qu’il a de meilleur», avait prédit le président français peu avant de rejoindre les manifestants brandissant des slogans tels que «Faites l’humour pas la guerre», «Paris stand up for freedom». Plus loin, l’Hymne à la joie de Beethoven retentissait depuis une fenêtre donnant sur le parcours, sous les applaudissements de la foule.

-«Je suis Charlie, je suis juif, je suis policier» : ce slogan résumait l’hommage rendu aux victimes de ces attaques : douze morts, dont sept journalistes, et deux policiers mercredi dans l’attentat contre l’hebdomadaire satirique à Paris, une policière tuée jeudi près de Paris, et quatre Juifs tués dans la prise d’otages vendredi dans un supermarché casher à Paris.

«On est tous unis, réunis, ravis», souriait René Sartore, un cadre de 43 ans, tandis que Lassina Traore, un Français musulman, voyait dans cette marche «un signe de la force de la France». «On peut vivre ensemble parce qu’on partage les mêmes valeurs», assurait de son côté Daniel, 30 ans, musicien et juif.

Sur la place de la République, les manifestants agitaient des drapeaux français, mais aussi de Palestine, de Tunisie, d’Ukraine, du Liban, débattaient ou communiaient dans l’émotion et la solidarité.

Forces de l’ordre applaudies

Fait rarissime en France, les forces de l’ordre ont été applaudies et saluées par les manifestants. D’autres manifestations de patriotisme, plutôt inhabituelles, comme la Marseillaise, l’hymne national français, ou des drapeaux français brandis, ont été signalés. Le parcours du défilé était sous haute protection policière, avec des tireurs d’élite postés tout au long du parcours.

L’enquête avance

De leur côté, les enquêteurs progressaient dans leurs investigations concernant Amedy Coulibaly, l’un des trois djihadistes impliqués dans les attaques qui ont secoué la France.

Auteur de la prise d’otages du supermarché juif dans l’est de Paris (dont les quatre victimes juives seront inhumées en Israël) et du meurtre d’une policière à Montrouge, dans la proche banlieue parisienne, Coulibaly est en outre soupçonné de l’agression d’un joggeur mercredi, grièvement blessé par balles.

A l’épopée sanglante menée ces derniers jours par ce délinquant multirécidiviste de 32 ans -déjà condamné dans une affaire d’extrémisme islamiste, pourrait s’ajouter l’explosion d’une voiture piégée jeudi soir à Villejuif, près de Paris. C’est en tout cas ce qu’affirme une vidéo postée dimanche matin sur internet.

Conférence internationale

Dans la matinée de ce dimanche historique, une conférence internationale sur le terrorisme a eu lieu à Paris. Les ministres européens et américain de l’Intérieur ont appelé à renforcer les contrôles des mouvements aux frontières extérieures de l’Union européenne. Un sommet pour combattre l’extrémisme se tiendra le 18 février aux Etats-Unis, a annoncé le ministre américain de la Justice, Eric Holder.

Avant d’être tués par les commandos français vendredi, les frères Chérif et Saïd Kouachi, responsables de la tuerie à Charlie Hebdo, ont affirmé agir au nom d’Al-Qaïda tandis qu’Amedy Coulibaly s’est revendiqué du groupe Etat islamique.

Pas de lien crédible avec la piste islamique

Eric Holder a toutefois estimé dimanche qu’il n’y avait «pas d’information crédible» attestant qu’Al-Qaïda ou que l’EI soit derrière les attentats. «La France n’en a pas terminé avec les menaces», a averti vendredi le président français, alors que le gouvernement a reconnu «des failles» dans la sécurité du pays engagé sur plusieurs théâtres d’opération contre les mouvements djihadistes .

Selon un sondage publié dimanche, plus de huit Français sur dix disent craindre d’autres attentats dans les semaines à venir.

Plus nombreux que prévu

En province, les multiples rassemblements et défilés ont réuni deux millions et demi de personnes, soit nettement plus de monde que prévu initialement par les autorités. La police a ainsi compté 300’000 personnes à Lyon et 140’000 à Bordeaux, 60’000 à Marseille, 50’000 à Nancy, Montpellier et Angers.

Partout, des «Je suis Charlie» étaient lancés par la foule, en référence à l’hebdomadaire «Charlie Hebdo», où 12 personnes ont été tuées mercredi, ainsi que des «Je suis juif», entrecoupés de débuts de Marseillaise.

(agences/Newsnet)