Le dernier «Charlie Hebdo» est déjà épuisé

 

«Ils auraient dû en prévoir plus, je ne pourrai pas faire face à la demande!», lâche mercredi un kiosquier parisien abasourdi d’avoir vu sa boutique dévalisée dès le petit matin par des clients réclamant le Charlie Hebdohistorique, signé des rescapés de l’attentat.

Dans toute la France, la même scène se reproduit: des marchands de journaux submergés par la demande face à des clients souvent déçus de repartir bredouilles.

Certains en viennent aux mains pour se procurer le précieux numéro, avec Mahomet en Une. Drôle de revanche pour un journal dont les ventes étaient en berne et auquel les auteurs de l’attentat avaient lancé: «On a tuéCharlie Hebdo

«Je n’ai jamais vu ça. 60 personnes qui faisaient la queue avant même l’ouverture à 6 heures ce matin. Et ce n’étaient pas des habitués», raconte Marie-Claire, gérante d’un kiosque Gare Saint-Lazare à Paris.

«J’en avais une centaine, tout est parti en un quart d’heure», renchérit Majida Danadi, kiosquier à quelques centaines de mètres du siège de Charlie Hebdo, cible d’un attentat sanglant (12 morts) la semaine dernière. «Les gens l’achètent pour soutenir le titre, ils pensent aussi que ce sera un numéro collector.»

Un tirage à cinq millions d’exemplaires

Pour répondre au raz-de-marée, l’éditeur a décidé mercredi de porter le tirage – déjà exceptionnel – de trois à cinq millions d’exemplaires. La vente, prévue aussi dans plusieurs pays étrangers, s’étalera en France sur huit semaines.

Devenu un symbole de la liberté d’expression, Charlie Hebdo est réclamé partout, même dans les quartiers où, d’ordinaire, il trouve rarement preneur.

Le «Georges V», palace situé à deux pas des Champs-Élysées, s’inquiétait dès 8 heuresde ne pas avoir été livré de la cinquantaine d’exemplaires commandés.

«Il ne se vend pas d’habitude, du coup, on ne me livre plus», se plaint un commerçant du chic XVIe arrondissement.

Comme beaucoup de ses collègues en France, il a dû mettre sur sa porte une affichette «Plus de Charlie».

«Je peux en réserver un exemplaire?», demande, naïf, un client au kiosquier près de l’Hyper Cacher où Amédy Coulibaly a tué quatre clients juifs et retenu en otage les autres pendant plusieurs heures vendredi.

«Je ne prends pas de réservation. Il faut venir tôt», rétorque le vendeur.

Exaspérée, une vendeuse de Bordeaux répond aux clients en pointant simplement du doigt un écriteau: «Nous n’avons pas Charlie Hebdo et nous n’avons aucune information.»

En photo sur les réseaux sociaux

Du coup, certains de ceux qui sont parvenus à se procurer le numéro s’affichent en photo avec l’hebdomadaire sur les réseaux sociaux.

Scène digne d’un premier jour de soldes dans une supérette dans un quartier populaire de Paris: lorsque le rideau de fer s’ouvre, les plus agiles se glissent en-dessous et se ruent sur le rayon journaux.

Le vendeur est vite débordé. «Vous n’avez pas honte ? C’est le retour à Cro-Magnon !», lance-t-il. Sous les invectives, certains arrachent Charlie des mains de leur voisin ou de leur voisine. Quelques coups de poing volent.

«J’ai réussi !», dit fièrement Anne-Marie, 78 ans, en montrant son exemplaire tout froissé. «Je l’ai acheté car il faut soutenir la liberté d’expression, et ce journal qui menaçait de couler.»

Foire d’empoigne à Bordeaux

Même foire d’empoigne à la gare de Bordeaux: «Ils se sont battus pour sauter leur tour. Et une femme s’est même approchée de ma caisse pour essayer de m’acheter avec un billet de 10 euros, vraiment n’importe quoi!», se plaint un kiosquier.

Certains l’ont acheté, même s’ils réprouvent la Une: «ça, ça ne m’intéresse pas», dit Farez, la quarantaine, en cachant de la main la caricature de Mahomet.

«Je suis musulman pratiquant et je pense qu’il faut des limites» à la liberté d’expression, dit-il en sortant d’un marchand de journaux à Marseille. «Mais je l’ai acheté.»

Des exemplaires étaient déjà proposés sur internet à des prix faramineux. Sur eBay, le prix du journal qui coûte normalement trois euros pouvait monter jusqu’à 899,99 euros.

(AFP/Newsnet)