Paris: «Revenez demain! Ils vont en retirer…»

 

Mais où est Charlie? Plus dans les kiosques. Dès les premières heures de la sortie du journal satirique Charlie Hebdo, les points de vente ont été pris d’assaut. Ce numéro historique, une semaine jour pour jour après le massacre qui a fait 12 morts dans sa rédaction, a été réalisé dans l’urgence par les survivants. Il est attendu. Plus un exemplaire en vente dans Paris. Les trois millions d’exemplaires ne suffiront pas. Car aujourd’hui seulement 600’000 exemplaires sont disponibles. On annonce déjà un tirage augmenté à 5 millions d’exemplaires pour répondre à la demande.

Plongée dans la réalité! «Revenez demain! Ils vont en retirer… Et peut-être qu’ils vont me livrer. Moi, je n’ai même pas été approvisionné!» Avenue Trudaine, dans le 9 e arrondissement, le kiosquier ne peut que marquer son dépit et s’empresse de diriger les clients vers le Canard enchaîné ou Libération, les deux journaux «frères» deCharlie Hebdo. La file s’étend sur le trottoir habituellement désert quelques minutes après 7heures du matin. Elle ne cesse de grossir.

Metro Anvers. A gauche le 9e, à droite le 18e arrondissement. Un grand kiosque de rue planté face à la sortie de Metro, planté sur la berme centrale du boulevard Rochechouart. Ici le flot de Parisiens et de touristes est ininterrompu. «J’en ai reçu dix. Tout est parti en quelques minutes!» avance le kiosquier, réticent à nous parler. Ce quadra d’origine maghrébine a la mine des mauvais jours. On pressent que Charlie Hebdo le heurte… Il ne veut pas nous répondre! Est-ce qu’au moins ça dope les vente des autres titres? ose-t-on. «Si vous le dites!» répond-il.

Revenez à 10heures

Trois cents mètres plus loin. Une autre file s’étire devant un kiosque plus loin sur le boulevard Rochechouart, éclairé par l’enseigne rose de Tati. «Il y en a déjà plus?» nous questionne un père de famille, une fillette dans chaque main en route vers l’école. «C’est la démocratie Madame! Si vous n’aimez pas, vous n’avez qu’à pas l’acheter», débattent deux sexagénaires bien mises. Le kiosquier ici annonce qu’il recevra un nouveau lot vers 10 heures.

Jamais vu ça en 45 ans de métier!

Barbès. Le cœur du Paris – Maghreb. Les vendeurs de «Marlboro Bled», ces cigarettes de contrebande venus de on ne sait où, sont déjà à l’œuvre. L’attroupement visible de loin annonce que le kiosquier ici aussi est en rupture de stock. «J’en ai vendu 200 exemplaires en quelques minutes. Quarante-cinq de métier, monsieur, et je n’ai jamais vu ça», répond-il avec un accent à la Audiard qui réchauffe le cœur.

On l’interroge sur la sécurité, la problématique du blasphème, de la provocation, ici dans cette tête de pont des «territoires sensibles». Ce Barbès qui s’enflamme de vert et blanc les jours de match de foot de l’Algérie. Sa moue, entre le dubitatif et l’amusement, nous renvoie à la face la grotesque caricature de la question.

(24 heures)