Crise du rouble: «100 milliards de dollars sont sortis de Russie en 2014»

 

– Quels sont les effets collatéraux de la crise russe actuelle sur les banques genevoises?
– Face à la tournure prise par les événements, une arrivée massive de clients russes a commencé à voir le jour au cours des derniers mois de l’année 2014. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas nécessairement d’oligarques, qui, dans certains cas, ont rapatrié une partie des affaires. Mais de membres de la classe moyenne aisée. Le dernier décompte de la Banque centrale montre qu’entre janvier et septembre 2014 le solde des capitaux fuyant la Russie a représenté 85 milliards de dollars. Ce qui signifie que sur l’ensemble de l’année, la barre des 100 milliards a été franchie. Une partie – inconnue – de cet argent a abouti en Suisse.

– Il n’y a toujours pas de mesures coercitives mises en place par Moscou pour enrayer cet exode?
– Les autorités ont flirté avec l’idée d’un contrôle des capitaux. Et puis, à la mi-décembre, le président Poutine a coupé court à cette éventualité. Pour l’instant. Car les mesures annexes prises en fin d’année montrent que les barrières peuvent toujours être rétablies, en fonction de l’aggravation de la situation économique et des sanctions occidentales. Déjà, des fuites, non démenties, ont laissé entendre que cinq conglomérats d’Etat – Gazprom, les pétroliers Rosneft et Zaroubejneft ainsi que Alrosa et Kristall dans le diamant – s’étaient vus ordonner la vente d’une partie de leurs réserves de devises, pour soutenir le rouble. L’instauration d’un possible contrôle des capitaux restera donc d’actualité en 2015 pour les banques suisses au service d’une clientèle russe.

– Vous évoquez le risque d’un durcissement des sanctions occidentales. L’apaisement qu’on avait cru discerner ces dernières semaines s’est donc évanoui?
– Tout reste en suspens. Prenez cet étonnant «Ukraine Freedom Support Act» signé par le président Obama la semaine avant Noël, dans l’indifférence générale. Ces 42 pages de mesures partent dans tous les sens: de l’argent pour les médias pro-occidentaux en Ukraine, des menaces contre Gazprom en cas de coupure du gaz aux alliés américains que sont l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie; mais encore la possibilité de sanctionner Rosoboronexport, le bras commercial du complexe militaro-industriel…

«Les mesures américaines représentent un risque pour les banques suisses qui n’auraient pas mis un terme à leurs relations avec ces clients.»

Une section de cette loi concerne particulièrement la place financière suisse. Elle autorise de facto la Maison Blanche à bannir – par simple décret – les banques russes des circuits internationaux de transactions financières en dollars, de la même manière que l’Iran. Comment? En décidant de sanctionner les «institutions financières étrangères» qui continueraient de s’occuper des transactions financières de personnalités russes sur la liste noire des autorités américaines. Même si ces mesures ne sont pas encore entrées en vigueur et peuvent être activées au cas par cas, elles augmentent d’un cran la sévérité des sanctions. Cela vise d’abord les grandes banques russes, qui n’ont pas coupé tous les ponts avec ces hommes d’affaires ou les responsables politiques russes. Mais cela représente également un risque pour les banques suisses qui n’auraient pas mis un terme à leurs relations avec ces clients. Pour l’instant la présidence américaine a le doigt sur la gâchette. Mais si ces mesures étaient activées, elles feraient flotter autour de toutes les activités bancaires avec la Russie un parfum de danger similaire à celui entourant l’Iran.

(24 heures)