Glaciation économique en Russie

 

Pas de ballet Béjart pour les Moscovites cette année. La raison? En moins de trois mois, les ménages russes ont vu s’évanouir près de la moitié de leur pouvoir d’achat pour toute prestation libellée en francs suisses. Cet appauvrissement est tout aussi sévère face aux produits – ou aux services – achetés en Europe ou aux Etats-Unis: depuis l’été dernier, les secousses sur le taux de change les ont rendus entre 40 et 50% plus chers. Un effondrement de la valeur du rouble qui coupe des centaines de milliers de Russes de biens importés devenus hors de prix. Invisible, cet embargo «monétaire» qui s’installe sur la durée prend au piège les secteurs d’activité n’ayant que des liens épisodiques avec la Russie.

Comme la culture. Le ballet Béjart de Lausanne vient ainsi de faire face à l’annulation des représentations de son spectacle Le Presbytère prévues en 2015 à Moscou et à Saint-Pétersbourg, a appris «24heures». Un «report lié vraisemblablement aux conditions économiques», réagit son nouveau directeur exécutif, Jean Ellgass.

Le ballet Béjart vient de faire face à l’annulation des représentations de son spectacle à Moscou et Saint-Petersbourg.

Oublié le succès des ventes de fruits en Russie cet automne, les vergers helvétiques n’étant pas concernés par l’embargo décrété par Moscou contre l’Union européenne. En novembre, le total des ventes de produits partant pour la Russie a été amputé de 36% par rapport aux exportations enregistrées un an auparavant, selon les douanes. Le dernier pointage de la Fédération horlogère faisait état pour le moins de novembre – c’est-à-dire avant le plus chaud de la crise – de ventes amputées dans des proportions similaires.

«A l’heure actuelle, il va sans dire que le taux de change du rouble pose des problèmes, surtout avec de telles variations», constate Nick Hayek, directeur général deSwatch Group. Ce n’est toutefois «pas la première fois que le groupe est confronté aux évolutions des devises et cela ne change en rien notre stratégie à long terme de continuer de développer le très important marché russe», poursuit le fils du fondateur du plus grand groupe horloger, contacté par le biais d’un porte-parole. Celui-ci ne détaille pas les chiffres de ventes de sa filiale russe. Active depuis 2006, celle-ci dispose aujourd’hui d’une cinquantaine de points de vente en propre.

Absences en montagne
La Russie reste le quinzième partenaire commercial de la Suisse, avec des exportations deux fois moindres que celles à destination d’un pays comme la Belgique. Ce décompte passe sous silence les achats que ne feront plus, en Suisse, les touristes slaves absents cet hiver.

L’effondrement du rouble a conduit les Russes à passer les Fêtes chez eux, témoignent les professionnels du secteur touristique dans ce pays. En début de semaine, ces derniers faisaient état d’un effondrement de 50% à 70% des réservations de séjours à l’étranger sur les dix premiers jours de janvier. Du jamais vu. Quid de la Suisse? Selon le dernier pointage de l’Office fédéral de la statistique, les nuitées des visiteurs russes s’étaient déjà avérées inférieures de 11% durant la saison estivale, avant que la crise du rouble ne s’amplifie. La saison hivernale reste autrement décisive.

Vérification au Crans Ambassador, l’un des cinq étoiles valaisan en vogue auprès de cette clientèle, qui assurait 30% de ses visiteurs l’an dernier. «Effectivement, il y a une baisse de l’ordre de 20% par rapport à l’an dernier», reconnaît Sandra Crettenand, responsable marketing de l’hôtel. Des absences de réservations – plutôt que des annulations – qui datent de cet automne. «Cette clientèle passe par des agences ou des tour-opérateurs dont les réservations nous parviennent en octobre-novembre», poursuit la responsable commerciale de l’hôtel. La plus grande partie des séjours de ces familles élargies – souvent une dizaine de personnes – se fait sur la semaine du Nouvel-An et celle du Noël orthodoxe.

«Il va sans dire que le taux de change du rouble pose des problèmes, surtout avec de telles variations»
Nick Hayek, directeur général de Swatch Group

En Savoie, à Courchevel, on se veut rassurant. «Au niveau de l’hôtellerie de trois étoiles ou plus, tous ces clients étaient là durant les Fêtes», témoigne la responsable de l’Office du tourisme, Adeline Roux, qui dit être «loin de l’effondrement du tourisme russe et russophone»; même si «l’ambiance était moins effervescente que les années précédentes».

Une résistance qui s’explique par le fait que ces séjours sont en général «réservés et payés de six mois à un an à l’avance». Et le profil des vacanciers est «très spécifique». En clair, fortuné. Un décalage qui fait craindre à l’inverse un effet boomerang pour la fin de 2015. Troisièmes visiteurs en nombre derrière les Français et les Britanniques, ceux-ci ont représenté jusqu’à 14% des touristes à Courchevel durant l’hiver 2012-2013 – contre moins de 10% il y a six ans. Et ces indications, en termes de nombre de visiteurs, ne disent rien des dépenses de cette clientèle haut de gamme sur place.

«Ils ne reviendront pas en mars, ne serait-ce qu’en raison des directives fortes de leur gouvernement», estime la responsable du tourisme de cette station de la Tarentaise. Autre explication: cet automne, la France a délivré ses visas avec bien davantage de parcimonie aux skieurs russes. Une restriction liée à la glaciation des relations entre les deux pays, que n’a pas mis en place la Suisse.

(24 heures)