Printemps arabe: La révolution tunisienne fêtée dans le désordre

 

La célébration de la révolution en Tunisie a tourné au désordre au palais présidentiel ce mercredi 14 janvier.

Le président Béji Caïd Essebsi, élu fin décembre, venait de terminer un discours à l’occasion du quatrième anniversaire de la révolution. Il décorait des personnalités lorsque des cris se sont élevés dans la salle bondée.

«Où est la justice pour nos enfants?», ont crié certains membres des familles, tandis que d’autres scandaient: «Fidèles au sang des martyrs!».

«C’est une mascarade. Nous ne sommes pas venus pour de belles paroles, nous sommes venus pour qu’au moins on rende hommage symboliquement aux personnes que nous avons perdues!», a dit le mari de Mahjouba Nasri. Cette Tunisienne a été tuée dans les jours suivant la fuite en Arabie saoudite du président de l’époque Zine El Abidine Ben Ali.

Visiblement irrité par le brouhaha, le président Caïd Essebsi a tenté de continuer à remettre les décorations, dont l’une à titre posthume à l’élu Mohamed Brahmi, assassiné le 25 juillet 2013. «Si les martyrs étaient encore vivants, ils ne seraient pas d’accord avec vous», a-t-il d’abord lancé aux membres des familles invités au Palais de Carthage.

«Tous les martyrs sont dans nos esprits et seront décorés. Ce que vous faites n’est donc pas nécessaire. Allez, que Dieu vous vienne en aide», a-t-il ajouté quelques minutes plus tard, avant de tourner les talons.

Défilé sous haute sécurité

Des dizaines de membres des familles de victimes ont également défilé sur l’avenue Habib Bourguiba, haut lieu de la révolution dans le centre-ville de Tunis. Plusieurs centaines de personnes ont manifesté en ordre dispersé sous très haute sécurité.

Le parti islamiste Ennahda, deuxième force politique du pays derrière le parti Nidaa Tounès de Béji Caïd Essebsi, a installé une tribune et un écran géant au milieu de l’avenue pour célébrer l’anniversaire par des chants et des discours.

Plus haut, ce sont des dizaines de partisans des islamistes radicaux de Hizb ut Tahrir qui manifestaient, aux côtés d’un petit groupe de jeunes socialistes.

Caricature dénoncée

Devant le théâtre municipal, une vingtaine de personnes se sont rassemblées en silence, pour Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, deux journalistes tunisiens disparus en Libye. Une branche du groupe État islamique (EI) affirme les avoir exécutés, mais cette annonce n’a pas été confirmée.

Éparpillés sur l’avenue, d’autres petits groupes de manifestants ont réclamé la libération du blogueur Yassine Ayari, condamné pour atteinte à l’armée. Ils ont aussi demandé des emplois pour les «diplômés chômeurs».

Une quinzaine de jeunes ont dénoncé la publication par l’hebdomadaire français Charlie Hebdo d’une nouvelle caricature de Mahomet. Ils brandissaient des bannières proclamant: «Je ne suis pas Charlie, je suis Mohamed».

Verdicts cléments

L’incident du palais présidentiel est le signe que le douloureux dossier de la répression du soulèvement populaire qui a renversé Zine El Abidine Ben Ali n’est toujours pas clos. Selon un bilan officiel, elle a fait plus de 300 morts et des centaines de blessés. Elle a sévi pendant la révolution (17 décembre 2010 – 14 janvier 2011), mais aussi dans les jours qui ont suivi la fuite du dictateur.

«Les efforts de la Tunisie pour faire rendre des comptes en justice aux auteurs d’exécutions extrajudiciaires (…) ont été anéantis par des problèmes juridiques ou liés à la procédure d’enquête et n’ont pas permis de rendre justice aux victimes», a affirmé Human Rights Watch (HRW) lundi.

«À l’exception de la peine de prison à perpétuité prononcée par contumace à l’encontre de (…) Ben Ali, le long processus qui s’est déroulé devant des tribunaux militaires n’a produit que des verdicts cléments, voire des acquittements, pour les personnes qui étaient accusées d’avoir causé la mort de manifestants», a ajouté l’organisation de défense des droits humains.

(ats/Newsnet)