L’après-Charlie: Le père d’«Allons Z’enfants de la Culture» défend les banlieues

 

L’impressionnant élan d’union nationale qui a emporté la France après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes ne saurait cacher les profondes fractures qui divisent sa société et, en premier lieu, ses banlieues. Comment recoller les morceaux d’Hexagone brisé? Le comédien Alain Degois, plus connu sous son surnom, Papy, ne manque pas d’idées. Immergé dans le monde des quartiers catalogués «sensibles», il y a découvert de nombreux talents dont Djamel Debbouze, Sophia Aram, Arnaud Tsamere. Pendant vingt ans, il a animé la troupe Déclic Théâtre à Trappes, en banlieue parisienne, vouée à l’improvisation théâtrale. Aujourd’hui, il dirige la société de production AD2 «Allons Z’enfants de la Culture». Ajoutons qu’il est rigoureusement impossible de vouvoyer Papy.

– Comment ton coin de banlieue a-t-il réagi?
Le choc a été violent, pour tous. Je craignais que la situation ne dégénère à Trappes ou ailleurs. Mais je ne vois rien de tel pour le moment. Je suppose que l’impressionnante mobilisation de dimanche – avec les quatre millions de Français qui ont participé aux marches républicaines – a étouffé toutes les velléités de déstabilisation dans les banlieues.

– D’emblée, quelles sont les premières réactions à Trappes?
Je remarque deux dénis. Le déni musulman et le déni français. Lorsqu’ils me parlent des djihadistes, mes amis musulmans répètent que l’islam, ce n’est pas ça, que les terroristes ne sont pas des vrais musulmans… Je leur réponds, eh bien si, ils le sont, musulmans! Certes, ils ne correspondent pas à votre lecture du Coran mais enfin, ils ont été élevés dans des familles musulmanes. Ils ont fréquenté la mosquée. Ils ont été éduqués dans l’islam. On ne peut pas évacuer leur islamité d’un revers de main. Il faut aussi que les musulmans se confrontent à cette réalité. L’autre déni est exprimé par la France. Car, les trois terroristes étaient de nationalité française, nés en France, élevés comme moi à l’école de la République. Prenons bien conscience de ce fait, au lieu de renvoyer les tueurs à leur origine familiale. Ce sont des Français fous de Dieu qui ont assassiné d’autres Français libres-penseurs. De même, l’égorgeur montré par les caméras de l’Etat islamique était un Normand de souche.

– Les terroristes – mais aussi le brigadier Ahmed Merabet assassiné par eux – venaient tous de la banlieue parisienne. Pourtant, on ne peut pas dire que rien n’a été fait en faveur des cités défavorisées…
En 1995, la France subit une vague d’attentats meurtriers. En 2005, les émeutes de Clichy-sous-Bois se répandent dans les banlieues de l’Hexagone. Et nous voilà en 2015 avec ces deux attentats. A chaque fois, le gouvernement y va de son «plan banlieue» et promet des aides financières en faveur des zones déshéritées. Or les associations de quartier ou culturelles n’ont pas vu l’ombre d’un centime de cette montagne d’euros!

– Et où va l’argent?
Voilà comment le système fonctionne. Le gouvernement demande aux régions d’établir la liste des projets à soutenir. Les régions refilent cette mission aux départements. Ceux-ci se tournent vers les maires pour les charger de rédiger cette liste des priorités. C’est donc le potentat local qui va, en fin de compte, distribuer la manne. Il va choisir les associations qui sont de son bord politique ou qui peuvent lui valoir des électeurs. Les autres, souvent plus utiles socialement, ne recevront que des miettes. Et encore! Alors, cette année, j’espère qu’on nous épargnera le énième «plan banlieue» et que le gouvernement se mettra enfin à cibler ses aides, là où le besoin se fait réellement sentir.

– La prise d’otages à l’Hyper Casher de Vincennes et les quatre Juifs assassinés démontrent la virulence de l’antisémitisme. Le phénomène est-il nouveau?
Avant la première guerre du Golfe en 1990-1991, ce sentiment était ignoré dans les communautés musulmanes. C’est à partir de ce conflit que les gamins se sont mis à jouer à la guerre en se donnant les rôles d’Arabes et de Juifs. Ils avaient alors une dizaine d’années. Aujourd’hui, ils ont donc l’âge des terroristes de la semaine passée, les frères Kouachi et Amédy Coulibaly. Ce n’est sans doute pas un hasard.

– Comment l’islam radical a-t-il pu ainsi se développer dans les cités dites «sensibles»?
Depuis trente ans, on a laissé les imams intégristes prêcher un islam violent, inspiré par les Frères musulmans. Les politiciens locaux ne les prenaient pas au sérieux et se persuadaient qu’en leur laissant un strapontin, cela suffirait à les calmer. Mais les fous de Dieu ne pensent pas ainsi. L’un d’entre eux avait proclamé que Trappes deviendrait une république islamique et qu’il avait tout le temps pour y travailler. Le politicien, lui, n’a pour horizon que la fin de son mandat. L’Etat a donc laissé les esprits se gangrener. Et, lorsque des troubles ont surgi, il n’a eu pour seule réponse que le déploiement des forces policières. Et après cette opération, lorsque les CRS ont regagné leur caserne, que se passe-t-il? Rien! C’est à nous, les associations de quartier, qu’il revient de payer les pots cassés, avec nos petits moyens.

– Pour recoller les pots cassés de la République, que proposes-tu?
Je rêve d’une B.I.C., Brigade d’intervention culturelle, chargée de créer des événements pour les gens qui sont persuadés que la culture n’est pas faite pour eux. Ce n’est pas eux qui iront à Molière. C’est à nous de leur amener Molière. C’est la culture que les terroristes ont voulu attaquer à Charlie Hebdo. C’est par la culture que nous devons répliquer. Ces habitants de Trappes ou d’ailleurs qui viennent du Maroc, du Sénégal ou du Mali n’ont pas de mémoire liée à leur ville, rien qui les rende fiers. Alors, ils se recroquevillent sur leur mémoire communautaire. L’intervention culturelle sur leurs lieux de vie leur donnerait enfin cette mémoire de Trappes qui les sortirait du ghetto dans lequel ils ont été confinés.


Jamel Debbouze: «La France c’est ma mère, n’y touche pas!»

Il était très sérieux, Jamel Debbouze, dimanche soir sur la chaîne TF1. Invité de l’émission Sept à huit, l’humoriste se montre bouleversé par les attentats de Paris. Il parle de sa foi musulmane héritée de ses parents. Extraits.

La mère patrie «La France, c’est ma mère, et on ne touche pas à ma mère!» lance celui qui se définit ainsi: «Je suis Français, musulman, artiste, je suis né à Barbès, j’ai grandi à Trappes, je suis père de deux enfants, marié à une chrétienne journaliste très belle, et ça pour moi c’est la France.»

L’islam Pourquoi soudain affiche-t-il sa foi? «J’ai passé mon temps à ne pas dire que j’étais musulman. Pas parce que je n’en étais pas fier, loin de là. Mais parce que je considérais qu’on n’avait pas besoin d’affirmer son identité, sa différence. Aujourd’hui, j’ai presque besoin de le revendiquer comme pour dire: Ne vous inquiétez pas, on est pareil malgré nos différences!»

Le blasphème «Je suis mal à l’aise avec le blasphème. C’est pas de ma faute, c’est dans ma culture. Quand je vois un dessin de deux prêtres qui s’enculent (sic), je suis pas bien. Ça me fait pas rire. C’est pas pour autant que je ne condamne pas (ndlr: les attentats). On ne peut pas insulter, agresser ou tuer parce qu’on n’est pas d’accord avec l’autre!» Il ajoute: «Je me battrai pour que vous puissiez dire tout ce que vous voulez. Mais je comprends les gens qui ont été déstabilisés et choqués, parce qu’ils n’ont pas cette culture du blasphème.»

Les quartiers «On m’a aimé et on m’a écouté. Des acteurs sociaux m’ont permis de devenir ce que je suis. (…) Tous les gamins des quartiers n’ont pas eu cette chance.»Andrés Allemand

(24 heures)