Etats-Unis – Cuba: Les négociations historiques à La Havane déchirent les Cubains

 

José Tomás Fernández porte son attachement à sa patrie autour du cou. Le Cubain de 46 ans, qui affirme son opposition au régime des frères Castro, arbore un collier de petites perles en bois aux couleurs de son pays. «Pour moi, le rapprochement avec les Etats-Unis et ces discussions sont une trahison pour la démocratie à Cuba et pour tous ceux qui ont combattu pour elle, affirme-t-il à propos de la visite de la secrétaire d’Etat adjointe américaine depuis hier à La Havane. C’est une trahison de faire des concessions envers ce régime sans rien demander en échange.

Dans un modeste appartement du centre de La Havane, José Tomás Fernández rêve d’une Cuba démocratique et prospère. «Très peu de Cubains peuvent exercer les professions pour lesquelles ils se sont formés, précise-t-il. J’ai étudié la télécommunication et j’ai travaillé pendant longtemps à la confection de cigares. Il n’y a pas de technologie ici. Ma fille est en train d’étudier pour devenir informaticienne. Mais il n’y a pas d’emplois qui correspondent à son profil.»

La rencontre entre Roberta Jacobson, la secrétaire d’Etat adjointe américaine, et des représentants du pouvoir cubain éveille néanmoins un espoir en José Tomás Fernández: «Raúl Castro n’aura plus d’excuse pour maintenir son pays dans une telle misère, ajoute-t-il. Jusqu’ici, on nous a dit que notre pauvreté était due à l’embargo. On nous a dit que les Américains étaient les ennemis. C’était une justification pour militariser la société. Nous devons préparer les jeunes au changement.»

Enrique Hernández, un professeur de français de 50 ans qui arrondit ses fins de mois en travaillant comme pâtissier, voit, lui, d’un bon œil le rapprochement qui s’opère entre les Etats-Unis et Cuba. «Je pense que c’est un pas magnifique car il n’y avait pas de relations entre les deux pays depuis cinquante-six ans, glisse-t-il. J’espère que ça va aider le pays économiquement, car le peuple souffre.»

A la veille de la visite de Roberta Jacobson à La Havane, un diplomate cubain a affirmé à l’agence AP que la reprise des discussions entre Américains et Cubains n’était pas une «normalisation» de leurs rapports. «Cette amélioration des relations va se produire petit à petit, nuance Enrique Hernández. Les deux pays ont eu des mauvaises relations pendant cinquante-six ans et je ne crois pas que ça puisse s’améliorer du jour au lendemain.» Pour le professeur, qui rêve de pouvoir voter un jour, le «changement» ne sera pas politique. «Je ne nous vois pas marcher sur un chemin capitaliste, précise-t-il. Il y aura plus d’ouverture. Cela a déjà commencé avant le 17 décembre (ndlr: le jour l’annonce du rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba), mais je pense que ça va s’accélérer au niveau économique.»

Dans son traditionnel discours sur l’état de l’Union, Barack Obama a demandé mardi soir au Congrès de lever l’embargo américain. «Quand ce que vous faites depuis cinquante ans ne marche pas, il faut essayer autre chose», a-t-il lancé aux élus. Sa politique de rapprochement avec Cuba est amèrement critiquée par de nombreux parlementaires républicains. Certains d’entre eux avaient d’ailleurs invité des opposants cubains à assister au discours pour souligner leur désaccord avec la politique de Barack Obama. Ces dissidents accusent la Maison-Blanche de renforcer le régime castriste.

En réponse à ces critiques, Kathy Castor, une représentante démocrate de Floride, a invité José Valiente, un entrepreneur américain d’origine cubaine, à assister avec elle au discours sur l’état de l’Union. Ce fervent défenseur du rapprochement entre Washington et La Havane applaudit la visite de Roberta Jacobson à Cuba: «C’est très encourageant, car il fallait faire quelque chose et ouvrir un dialogue», déclare-t-il avant d’ajouter à propos des détracteurs du président: «Il y a 11,4 millions de Cubains qui vivent dans une pauvreté terrible. Et c’est facile de dire qu’il ne faut rien changer lorsque l’on vit dans le luxe américain. On ne changera pas le gouvernement du jour au lendemain, mais une amélioration des conditions économiques peut lancer la transformation de ce pays.»

José Valiente raconte également sa rencontre avec Barack Obama dans les couloirs du Capitole mardi soir: «J’ai pu lui serrer la main et le remercier pour ce qu’il fait pour Cuba. Il m’a répondu que c’était gentil mais que nous avions encore beaucoup de travail.»

(24 heures)