Irak-Syrie: «Les gens n’aspirent pas à un Etat islamique»

 

Hosham Dawod était jusqu’en septembre à la tête de l’Institut français en Irak. Il se rend régulièrement en Irak, y était tout récemment. Il intervenait hier dans le cadre d’un colloque sur le Moyen-Orient réunissant une vingtaine de chercheurs à Genève, sous les auspices du Global Studies Institute.

– Vous êtes-vous rendu dans les zones contrôlées par Daech ?
Peu de gens entrent et sortent des zones contrôlées par Daech. Certains obtiennent l’autorisation d’aller récolter leur salaire. Des personnes âgées, surtout de vieilles dames, vont chercher de l’aide à l’extérieur. Car les conditions de vie sont très dures. Les hôpitaux tournent au ralenti, les écoles n’enseignent pas toutes les matières, une bonne part de la population active a pris la fuite.

Le Kurdistan irakien affirme qu’il y a 1,6 million de réfugiés, dont 400’000 Syriens. Les Irakiens viennent en majorité de Mossoul, deuxième ville du pays. La plupart vivent dans des camps de tentes, sous la neige. Il y a quelques jours, le premier ministre a annoncé que 17 enfants étaient morts de froid. Le gouvernement arrive d’autant moins à faire face que les cours du pétrole se sont effondrés. Les caisses de l’Etat se vident au moment où il faut par ailleurs financer la guerre ! C’est une catastrophe.

– Comment expliquer la capacité de Daech à résister face aux attaques de l’armée irakienne et aux frappes internationales ? Faut-il croire que l’Etat islamique est vraiment soutenu et souhaité par les sunnites ?
C’est incompréhensible en effet si l’on ne prend pas en ligne de compte l’héritage néfaste du gouvernement Maliki, qui depuis 2010 s’est posé en champion de la majorité chiite et a mené une chasse aux sorcières contre les dirigeants politiques sunnites.

Cette minorité, qui avait été longtemps au pouvoir, se sent écartée, marginalisée, sans représentation. A cela s’ajoute le fait que les sunnites sont eux-mêmes très divisés. Ils n’ont pas d’autorité politique reconnue, pas de hiérarchie religieuse et cette région est très diverse : quoi de commun entre la grande ville de Mossoul et la province désertique d’Anbar ? La population sunnite a aussi été profondément divisée lorsque les forces américaines ont armé et financé les Sahwa, des milices pro-Bagdad. Un morcellement encore aggravé par Maliki. Enfin, quand les jeunes, encouragés par le soulèvement en Syrie, se sont mis à manifester pacifiquement, ils ont été réprimés.

Bref, les sunnites rejettent tout ce qui vient de Bagdad et se méfient de l’armée irakienne, perçue comme une force d’occupation pro-chiite. Cette situation a ouvert un boulevard aux combattants de Daech, car le gros de la population reste passive, refusant de choisir le camp de Maliki contre celui des djihadistes. Certains ont apporté un soutien aux combattants. Les jeunes, eux, se radicalisent et combattent aux côtés de Daech. L’armée irakienne, peu aguerrie, ne fait pas le poids face à Daech, qui compte d’anciens officiers de Saddam Hussein. En 72 heures, un tiers de l’Irak est alors tombé.

– Oui, mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la difficulté, c’est qu’il ne suffit pas de repousser Daech, encore faut-il être capable de contrôler la zone « libérée ». Cela ne peut se faire qu’avec l’accord des sunnites et non plus contre eux. Or, ils attendent des garanties pour leur avenir. Ce n’est pas tellement que la population soutient Daech (sa pratique de la décapitation, les limites imposées aux femmes, etc.), mais les gens ont peur que les forces irakiennes se vengent sur eux, qu’ils soient traités en « collabos ». C’est vrai qu’on a beaucoup entendu parler du nettoyage ethnique mené par les djihadistes, on sait moins que les forces irakiennes ne sont pas forcément tendres avec les habitants des territoires reconquis.

– Les frappes de la coalition peuvent-elles suffire ?
Par-delà les questions de stratégie militaire, les Irakiens ont surtout l’impression que les Etats-Unis ne sont pas tellement pressés. Le rapport de forces n’a pas été renversé, Daech parvient régulièrement aux portes de Bagdad et d’Erbil. Certains estiment que Washington, dans un premier temps, voulait s’assurer de la chute de Maliki pour faire place à un nouveau gouvernement plus réunificateur. Mais maintenant, qu’attend-on au juste?

– Si Daech se maintenait, pourrait-il développer un Etat islamique durable ?
J’en doute sérieusement. Les populations n’y aspirent pas. De plus, Syriens et Irakiens ont des identités bien distinctes même s’ils sont sunnites. Et surtout, les puissances régionales ne laisseront pas faire.

(24 heures)