France: Les dangers du «terrorisme en libre accès»

 

Depuis longtemps déjà, les apprentis-jihadistes qui passent à l’action avec les moyens dont ils disposent dans leurs pays d’origine ont le plus souvent été radicalisés sur internet. Ils n’ont plus besoin d’avoir été entraînés, armés ou envoyés par des réseaux terroristes classiques. C’est ce que M. Cazeneuve a qualifié mercredi, à la sortie d’un conseil des ministres, de «changement de la nature du terrorisme».

«Au début des années 90, il y avait des groupes extrêmement fermés qui intervenaient à partir de l’étranger et commettaient des attentats. Aujourd’hui vous avez 90% de ceux qui basculent dans des activités terroristes au sein de l’Union européenne qui le font après avoir fréquenté internet. Des sites, des blogs, des vidéos. On ne combattra pas le terrorisme si on ne prend pas des mesures de règlementation d’internet», a déclaré le ministre.

«En fait, ce qu’il faut comprendre c’est que les terroristes agissent au coup par coup, en fonction de ce dont ils disposent» confie à l’AFP Louis Caprioli, ancien chef du contre-terrorisme. «Ils ont attaqué Charlie Hebdo avec des kalachnikov car il est facile de s’en procurer, mais s’ils pouvaient faire sauter dans une rue de Paris une voiture avec 100 kilos d’explosif, ils le feraient».

«Une motivation pour basculer dans la violence ici»

Moussa Coulibaly, 30 ans, qui a attaqué mardi trois soldats en faction devant un centre communautaire juif dans le centre de Lille et en a blessé deux, s’est servi d’un simple couteau. Lors de sa garde à vue, il a affirmé sa haine de la France, de la police, des militaires et des juifs, selon une source proche des enquêteurs. «Coulibaly voulait aller combattre en Syrie, on l’en a empêché, il est revenu, il avait une motivation pour basculer dans la violence ici», ajoute Louis Caprioli.

«C’est la même chose que ce qui s’est passé en mai 2013», quand un jeune homme a agressé au couteau dans le quartier d’affaires de la Défense dans la banlieue parisienne une patrouille de soldats sur un quai de métro. Jeune français de 22 ans converti à l’islam, il avait été arrêté trois jours plus tard. «Et quand deux Britanniques ont exécuté un soldat en pleine rue à Londres, ils ont fait ce que la revue Inspire» (publiée par Al-Qaïda dans la péninsule arabique, Aqpa) «avait préconisé : ils ont foncé sur lui en voiture, l’ont descendu et égorgé», précise-t-il.

Moussa Coulibaly est passé à l’action au moment où était mis en ligne par le groupe Etat islamique (EI) une vidéo dans laquelle un jihadiste, entouré de six hommes en treillis, armés et masqués, appelait en français les musulmans à attaquer au couteau les policiers et les soldats pour s’emparer de leurs armes.

«Le terrorisme en solo»

Grâce à internet, Al-Qaïda et ses filiales ou le groupe EI peuvent toucher et pousser à l’action des individus qui n’auront jamais avec eux d’autres contacts que le visionnage de vidéos. Amédy Coulibaly (sans relation apparente avec Moussa Coulibaly), le tueur du supermarché casher à Paris le 9 janvier, a fait allégeance au calife Ibrahim, chef d’ EI, dans un film enregistré avant sa mort, sans jamais avoir eu aucun lien avec le mouvement jihadiste dont il s’est réclamé.

Pour Thomas Hegghammer, directeur de recherches sur le terrorisme à l’Établissement norvégien de recherches sur la défense (FFI) à Oslo, «il s’agit d’un phénomène que nous observons depuis plusieurs années: le terrorisme en solo. Ce sont des gens qui se radicalisent en ligne, n’ont pas de lien avec un réseau existant mais passent néanmoins à l’action».

«Il y a de nombreux exemples, on peut appeler ça le jihad individuel. C’est quelque chose que les chefs jihadistes appellent de leurs voeux», ajoute-t-il. «Le magazine Inspire publie ces appels depuis 2010 : passez à l’action, sans consulter quiconque».

(afp)