
Vidéos de mauvaise qualité, plans grossiers et son à peine audible: ces images-là semblent désormais appartenir aux archives de la communication du groupe islamiste nigérian Boko Haram.
Mieux «contrôler» ses messages
YouTube et Twitter, deux moyens de contourner le filtre des médias traditionnels, permettant à Boko Haram de mieux «contrôler» ses messages, d’après des experts.
La secte islamiste a aussi diffusé jeudi une bande-annonce illustrée de combattants sur le terrain, avec un graphisme et des images au ralenti rappelant la propagande d’EI. Depuis un compte de plus en plus populaire, il a par ailleurs posté des photographies présentées comme celles d’une attaque de la ville de Gombe (nord-est du Nigeria) ainsi que des communiqués.
Yan St-Pierre voit dans l’utilisation de symboles djihadistes étrangers dans les vidéos du groupe nigérian comme une «demande ouverte» d’alliance plus formelle avec l’EI et Al-Qaïda par des factions utilisant le nom de Boko Haram.
Mais selon Max Abrahms, spécialiste des groupes terroristes à l’université américaine Northeastern à Boston (Massachusetts), l’évolution technologique des islamistes s’inscrit en fait dans l’air du temps: «Les groupes terroristes agissent simplement de pair avec l’époque actuelle. On ne devrait pas en être surpris».
Boko Haram, qui essuie actuellement de lourdes pertes humaines selon l’armée nigériane, a publié cette semaine deux vidéos contrastant totalement avec les précédentes. La secte a utilisé notamment des symboles visuels et des styles semblables à ceux de l’EI pour recruter des candidats au djihad dans ses rangs en Syrie ou en Irak.
Le groupe islamiste, qui multiplie les attaques sanglantes dans le nord-est du Nigeria depuis six ans, et qui n’hésite pas à étendre ses raids meurtriers au Tchad, au Niger et au Cameroun voisins, pourrait avoir développé ses compétences techniques, selon Aaron Zelin, du Winep (Washington Institute for Near East Policy), think tank américain consacré au Moyen-Orient.
«Le plus frappant», selon ce spécialiste, «c’est la grande différence entre les vidéos des quatre à cinq dernières semaines et ce qu’il (Boko Haram) faisait auparavant. Il me semble qu’il y a un certain niveau d’influences extérieures ou une tentative de le relier à quelque chose».
Le net changement à la fois dans la forme et le contenu de la propagande de Boko Haram pousse certains experts à spéculer sur d’éventuels liens tissés avec des djihadistes au Moyen-Orient ou une possible alliance entre ces différents groupes. Mais selon d’autres spécialistes, il n’y a pour l’heure aucune preuve concrète de liens directs, même si des djihadistes opérant dans le Sahel ont sans doute été en contact avec des membres de l’EI.
«Les noyaux dirigeants de Boko Haram et de l’EI n’ont pas vraiment de contacts, mais beaucoup des groupes qui leur sont affiliés en ont, pour faire du business», explique Yan St-Pierre du groupe Mosecon (Modern Security Consulting Group), spécialisé dans le contre-terrorisme.
Fabrication artisanale
Le fait que Boko Haram, selon ce spécialiste, contrôle des zones de la région du lac Tchad – route notoire de contrebande et de trafics d’armes – a poussé des miliciens étrangers à prendre langue avec lui. Conséquence: ce groupe, essentiellement composé de Nigérians avec des revendications locales à l’origine, s’est de plus en plus ouvert à une influence internationale, ajoute M. St-Pierre.
Les premières vidéos de Boko Haram, de qualité médiocre, étaient fabriquées de manière quasiment artisanale puis distribuées par des intermédiaires sur CD-Rom ou clés USB à des correspondants d’organes de presse dans le nord du Nigeria. Elles montraient la plupart du temps son chef, Abubakar Shekau, gesticulant dans de longs monologues.
A partir de décembre 2013, ces vidéos incluent des plans variés et surtout des images d’exécutions et d’exactions. Puis le groupe a commencé à poster ses vidéos sur YouTube, et, pour la première fois le 17 février, sur Twitter via un compte en arabe, montrant des images nettes d’un Shekau plus posé.
(ats)