Ukraine: «Je retire de l’argent pour vous»

 

Les distributeurs d’argent sont hors service et les banques sont fermées depuis des mois à Donetsk, comme dans toute la zone de l’Ukraine de l’Est contrôlée par les rebelles prorusses. Alors pour les retraités, employés, fonctionnaires qui ne sont pas payés en liquide et pour tous les habitants qui veulent piocher dans leurs économies, il faut feinter.

Au bout du numéro inscrit sur l’annonce du marché central, il y a «Iouri». Il propose un rendez-vous. Il faut venir avec sa carte bancaire et lui faire un virement avec son téléphone portable. En 15 minutes, dit-il, il recevra un texto qui confirme le virement. Il donnera alors l’argent liquide en ponctionnant, au passage, une commission de 10%.

Dans un autre quartier, près de la gare routière, la même méthode a été développée mais à une échelle quasi industrielle.

 Banque clandestine

Dans cette rue commerçante, la parfumerie est devenue une banque clandestine. Devant la boutique, un rebelle en arme monte la garde. A l’intérieur de la petite boutique, un autre milicien est assis avec sa kalachnikov dans un coin. A côté de lui, quatre «opérateurs» sont installés devant des ordinateurs portables, liasses de billets en mains.

Il y une petite file d’attente devant chaque opérateur. Les «clients» donnent leur carte de crédit et leur numéro de téléphone. Les opérateurs font un virement en ligne et quand le texto d’accord tombe, ils donnent l’argent. Même retenue: 10%. Et impossible de savoir d’où viennent les dizaines de milliers de hryvnias en liquide stockés dans la parfumerie.

Sur des affichettes en noir et blanc collées sur la vitrine sont écrit les nouveaux horaires de la boutique, «08h – 17h» et cette précision: «on ne retire pas moins de mille hryvnias» (32 euros). Il y a aussi une liste des banques avec lesquelles la parfumerie ne travaille pas.

«C’est comme ça, c’est la guerre. J’ai besoin d’argent pour payer mon téléphone et mes provisions», explique en sortant de la parfumerie Alexandre, un retraité de 57 ans, qui souhaite conserver l’anonymat.

Alexandre touche toujours sa pension de 3.500 hryvnias (114 euros) sur son compte. Mais il ne peut pas retirer l’argent. «Ça fait trois ou quatre mois que c’est comme ça. C’est Kiev qui est responsable de tout ça», se plaint-il.

Alexandre regrette de devoir s’acquitter d’une commission de 10% mais il est content d’avoir pu éviter un aller/retour en bus.

Laissez-passer difficile à obtenir

C’est l’autre méthode qu’utilisent beaucoup d’Ukrainiens de l’Est pour récupérer du liquide: un aller-retour à l’ouest de la ligne de front pour aller retirer de l’argent dans la zone toujours contrôlée par Kiev, là où les banques fonctionnent encore. Mais pour cela, il faut obtenir un «propousk», le laisser-passer qui permet de passer d’une zone à l’autre.

L’obtention de ce précieux sésame prend beaucoup de temps et de paperasses, quand il ne faut pas payer un bakchich pour être sûr de le décrocher.

Angélique et Maxime, un couple de cadres qui travaillent dans le secteur commercial, passent eux par leurs amis pour obtenir du liquide. «Dès qu’un ami ou une connaissance passe par Donetsk pour son travail, il nous apporte de l’argent. On le paye en faisant un virement par internet», dit Angélique qui préfère rester anonyme.

«Il n’y a pas le choix, il n’y a plus de système bancaire», dit-elle, pendant que son mari prend de l’essence dans une station du centre de Donetsk.

Quelques litres d’essence seulement car les prix ont explosé depuis que la monnaie ukrainienne est en chute libre. A la pompe, le litre d’essence coûtait dimanche deux fois plus cher qu’il y a deux semaines. Quatre fois plus qu’au début du conflit.

(afp)