Conseil de l’Europe: La France sermonnée sur la gifle et la fessée

 

Imaginons la tête de Lino Ventura si on lui avait dit que La gifle, film dont il partage l’affiche en 1974 avec Isabelle Adjani, passerait du registre de la comédie de mœurs à celle du fait divers pénal. Le réalisateur Claude Pinoteau était loin d’avoir tout faux avec plus de trente ans d’avance, car dans le rôle de la jeune fille corrigée, Isabelle Adjani claquait la porte du domicile paternel et semblait, elle aussi, trouver ce traitement «inefficace et dégradant». C’est grosso modo la sentence du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe qui a rappelé la France à l’ordre, hier. En effet, l’absence dans l’Hexagone d’interdiction claire des punitions corporelles viole l’article de la Charte européenne imposant de «protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation».

«Droit de correction»

Drôle! C’est vers l’Angleterre que le personnage d’Isabelle Adjani fugue dans le film pour aller retrouver sa mère. Et c’est aussi de l’Angleterre qu’est venue l’initiative de la très active association pour la protection de l’enfance (Approach) qui a saisi l’instance européenne. Elle reproche à la France d’être trop laxiste et de ne pas appliquer la Charte européenne à la lettre. Car si la jurisprudence française interdit les punitions corporelles dans le cadre scolaire et condamne avec sévérité les violences à l’encontre des enfants en général, la loi tricolore permet aux parents un «droit de correction» de leur progéniture, si la claque ou la fessée a un but «éducatif» et est «légère». C’est bien ce que pense Lino Ventura, Jean Douélan dans la Gifle.Car, au-delà des législations, il y a des habitudes culturelles qui alimentent un débat délicat. Puisqu’il entre dans le domaine très privé de la vie familiale.

Ainsi, en France selon un récent sondage, 80% des Français ont reçu des coups de leurs parents et la très grande majorité en donnent aussi. Ils sont donc très opposés à une interdiction légale.Un cas récent de condamnation par un tribunal correctionnel à une amende de 500 euros envers un père qui avait administré une fessée déculottée à son enfant de 9 ans a fait réagir les opposants et les tenants de la fessée de manière passionnelle. Mais le père divorcé avait été dénoncé par son ex-femme et, de toute évidence, c’est autre chose que la fessée qui était en jeu dans cette affaire très médiatisée. Impossible d’en tirer un véritable enseignement sur la ligne des tribunaux français.

La Suisse indulgente!

«Il faut aider les parents, pas les punir, ni les disqualifier.» La secrétaire d’Etat à la Famille Laurence Rossignol a passé hier la journée à tenter de ménager la chèvre et le chou. Elle explique dans Le Monde ne «pas être étonnée de la décision» et estime que «les dispositions du Code civil garantissent le respect de l’intégrité physique». C’est la troisième fois que la France se fait rappeler à l’ordre sur cette question (les avis de l’instance européenne ne sont pas contraignants). Il est cependant clair que le gouvernement de Manuel Valls va s’empresser de ne rien faire et ne changera pas sa loi.

Même si vingt-et-un Etats européens ont, dans un texte de loi, spécifiquement interdit tout châtiment corporel envers les enfants.En Suisse aussi la question revient fréquemment. Le Conseil national a refusé en 2008 de créer une loi ad hoc condamnant les châtiments corporels et les mauvais traitements contre les enfants. La Suisse politique se montre donc plutôt indulgente face à la fessée et surtout très méfiante envers tout ce qui ferait entrer l’Etat au sein de la famille, cette sphère privée sacrée. Lors des débats, il avait beaucoup été question de la tentation étatique de se substituer aux parents.

(TDG)