
La célébration de la journée mondiale du consommateur m’offre encore une fois, l’opportunité de partager avec vous cette contribution qui traduit la forte conviction qui m’anime depuis le lancement du débat sur l’OMC qui ne laisse plus personne indifférent tant les enjeux sont énormes.
Le consommer local, tant du point de vue de la production des denrées alimentaires que des produits artisanaux moins onéreux et plus sains, peut être un puissant levier de développement économique et social du pays.
L’exemple de la filière oignon, qui avait atteint le seuil des 140 000 tonnes, lors de l’exercice en 2008-2009, en atteste éloquemment. Le record enregistré dans sa production avait conduit au gel partiel des importations à cette période, permettant ainsi au Sénégal de profiter largement de ce marché de 15 milliards de FCFA. Une manne financière dont les producteurs ne pouvaient alors bénéficier qu’au bout de trois ans de production continue, permettant d’atteindre l’autosuffisance en matière de consommation d’oignons.
Ce qui suppose le soutien actif de l’Etat, en particulier les autorités en charge de l’économie et des finances, de l’agriculture et du commerce. Pourvu toutefois que la spéculation et les velléités de dérégulation dans la filière ne viennent pas gripper les ambitions de l’Etat.
Faiblement dotés de moyens techniques et financiers, qui les empêchent de répondre à une demande sans cesse croissante, ces producteurs sénégalais ont des limites objectives pour assurer une production locale, en adéquation avec le consommer local.
Toutefois, en dépit de ces difficultés, le consommer local ne doit pas être un simple slogan ou un vœu pieux et les performances remarquables du riz de la Vallée permettent de le croire, tant ce riz est en passe de gagner la bataille de la qualité et de la compétitivité. A condition bien sûr que l’Etat continue la politique d’aménagement des terres et de restauration des unités de production et de transformation pour améliorer la qualité des produits.
Ces exemples sont illustratifs du consommer local qui correspond aux réalités vécues par toute la population sénégalaise, voire mondiale, en cette période de crise financière globale. En effet, les manifestations contre la vie chère rythment nos jours. Des femmes et des hommes politiques, chercheurs et citoyens, se sont mis à la recherche de solutions, car il faut éviter une dégradation accrue des conditions de vie des populations. Le consommer local constitue, sous ce rapport, un élément clé, à plusieurs niveaux: il peut contribuer à rendre la
consommation moins onéreuse et plus saine et constituer un puissant levier économique et social du pays.
Rebâtir notre projet de société
Valoriser le consommer local, c’est bâtir un nouveau projet de société sur le socle de nos valeurs de civilisation et sur une organisation sociale qui a toujours fait de notre société un espace d’échanges, de partage et de complémentarité. Le Sénégal, malgré la colonisation, ne s’est jamais
départi de cette organisation sociale basée sur une répartition professionnelle du travail. Celle-là même qui a poussé son raffinement jusqu’à la constitution de castes au sein desquels chaque individu avait un métier et le vivait pleinement.
Dans un tel contexte marqué par une répartition du travail fondé sur la reconnaissance du savoir et du savoir faire de chaque composante (spécialisation), place ne pouvait être laissée au désœuvrement et au chômage.
Consommer local, c’est réhabiliter l’homo-senegalensis dans ses valeurs de civilisation. C’est remettre la société sénégalaise dans sa stabilité originelle fondée sur une répartition professionnelle du travail où chaque catégorie respecte l’autre en vertu de ses qualités professionnelles, sa fonction dans l’équilibre social et sa participation à l’économie nationale. C’est accepter les nécessaires mutations qui s’opèrent dans notre société tout en les maîtrisant et en les infléchissant en fonction de nos intérêts et de nos attentes. Consommer local, c’est promouvoir l’économie locale, solidaire, intégrative, économiquement viable, écologiquement durable. C’est produire ce que l’on consomme et consommer ce que l’on produit. C’est valoriser nos produits culturels, promouvoir l’artisanat utilitaire, réhabiliter la fonction artisanale, replacer l’apprentissage fonctionnel au centre du processus de développement qui s’articule autour de l’éducation, l’apprentissage aux métiers, la formation professionnelle. C’est repenser la finalité de l’école jusque-là circonscrite à une mission d’enseignement exclusif du Français (savoir lire et écrire). C’est passer à une école de formation aux métiers alliant enseignement théorique (en Français ou en langues nationales) et formation pratique aux métiers. C’est veiller à l’adéquation formation-emploi en suscitant des vocations chez l’enfant dès le bas âge et en insistant sur ses aptitudes tant au niveau du moyen, du secondaire (avec les ouvriers qualifiés) que du supérieur avec la recherche-développement.
C’est rebâtir une nouvelle école fondée sur les besoins immédiats et futurs reflétés par les ressources disponibles, les potentialités économiques et les possibilités de métiers qu’elles peuvent induire et d’emplois qu’elles peuvent créer. Consommer local, c’est manger sain et bio, en évitant tous produits chimiques et toutes formes d’OGM, c’est créer des filières de production et de transformation, en exploitant de façon rationnelle les ressources du terroir dans une perspective de développement durable. C’est valoriser les produits par la mise en place de tissus industriels novateurs, alimentés par les produits, sous-produits et intrants locaux. C’est aussi redonner une nouvelle âme à notre artisanat d’art, sous toutes ses formes, dans une perspective de labellisation et de promotion culturelle et touristique.
C’est surtout participer à l’équilibre de la balance commerciale, structurellement déficitaire d’une part, à la compétition mondiale par l’offre de produits locaux en quantité et en qualité d’autre part.
Mais consommer local, c’est aussi être exigeant avec soi-même en termes de production, de productivité, de quantité et de qualité, de rapport qualité-prix, de respect des normes de qualité, de respect des engagements contractuels, tant au niveau national qu’au plan international.
Ce rapide survol des points saillants qui fondent le concept du consommer local nous donne une idée sur l’importance primordiale de mener une réflexion stratégique sur ses tenants et aboutissants. Cela suppose naturellement une approche participative, à la fois inclusive, pluridisciplinaire, multisectorielle, au regard de la complexité de cette problématique et des enjeux qu’elle induit en termes d’indépendance
économique, d’autosuffisance et de sécurité sur des produits stratégiques.
D’où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? Voilà donc les trois questions essentielles, voire existentielles, qui doivent guider notre démarche si nous voulons assurément répondre à la lancinante problématique du consommer local.
Développer le label sénégalais
Il va sans dire que dans cette démarche de prise en charge de nos produits locaux, l’Etat a une responsabilité de tout premier plan que lui confère la mission de recherche de l’indépendance économique après l’accession à l’indépendance politique. Développer le label sénégalais et lui permettre de participer au marché mondial en créant de la valeur ajoutée à notre économie constitue un impératif de tout premier ordre. Cela passe naturellement par l’organisation et la valorisation des filières, l’arrêt ou la limitation temporelle des produits concurrents en misant sur la préférence nationale. Cela suppose également de s’inscrire dans une démarche-qualité en encourageant la production en quantité et en qualité, en assurant la disponibilité et la garantie des produits ainsi que leur accessibilité. Pour ce faire, l’Etat devrait revisiter les textes législatifs et règlementaires, s’assurer de la conformité des conventions et protocoles internationaux avec ces lois nationales et les réalités socio-économiques. La question des droits d’auteur, des droits de propriété et de la protection des savoirs et des savoir faire locaux doit, à cet égard,
constituer l’axe central du dispositif encadrant le consommer local.
Quid des médias et des journalistes
La presse, en tant qu’acteur de la vie publique, régulateur de la vie sociale, vitrine du Sénégal et instrument de promotion et de valorisation
du made in Sénégal, a un rôle primordial à jouer dans le consommer local à travers les axes suivants : accompagner le processus d’information, d’éducation et de communication au consommer local, assurer une bonne promotion des produits locaux dont la qualité est avérée, en insistant non seulement sur la valeur des produits mais aussi sur la qualité des emballages, réaliser au sein des organes de presse des rubriques et des programmes consacrés au consommer local, offrir des plages d’émissions et des plateaux aux acteurs du consommer local en mettant en exergue les meilleures pratiques, attribuer des récompenses et distinctions aux leaders des différents corps de métiers jumelés à des prix aux organes de presse et aux journalistes ayant consacré les meilleurs articles ou émissions au consommer local, aurait un impact certain dans la promotion de ce secteur.
Il va sans dire que la création d’un réseau des journalistes sur le consommer local ne serait pas de trop dans la capacitation des professionnels de la communication sociale au consommer local. Quant aux écoles de formation, elles mettraient à profit leur mission de formation en collecte et traitement de l’information pour assurer des modules sur le consommer local en interaction avec tous les autres secteurs du développement durable.
En effet, il va sans dire qu’une bonne compréhension du contexte socio-économique et des acteurs de même qu’une bonne connaissance des textes de lois permettraient de réussir le pari de la formation au consommer local. Je n’insisterai pas outre mesure sur le profit que les médias, tous secteurs confondus (écrits, audio, audiovisuels, électroniques) peuvent tirer d’une telle initiative qui permet un important retour sur investissement à travers la publicité de ces produits.
C’est dire que la presse a tout à gagner dans la promotion du consommer local qui peut booster la marché publicitaire et permettre aux
organes de presse, si souvent déficitaires, du fait de l’absence de produits publicitaires, d’obtenir enfin des parts de marché dans l’économie sénégalaise. N’est-ce pas là une autre façon d’obtenir les moyens économiques susceptibles d’amener la presse sénégalaise à mieux asseoir son indépendance et sa crédibilité ?
Partenariat État, les acteurs du consommer local, recherche et presse
Promouvoir le consommer local suppose nécessairement la mise en place d’un partenariat dynamique entre l’Etat, les acteurs du consommer local, la presse et la recherche qui doit assurément être réhabilitée et replacée au centre du dispositif. L’exemple du Centre horticole de Cambérène qui a mené des travaux sur l’amélioration de la culture et de la conservation de l’oignon prouve, s’il en est encore besoin, la pertinence d’une telle option. En effet, il va de soi qu’une plus large consommation de l’oignon local serait une bonne base d’évaluation
dont le feed-back à travers la presse et par le biais des enquêtes et sondages (sur la saveur, la qualité, la conservation) pourrait permettre
aux chercheurs d’orienter et d’approfondir leurs recherches sur le produit et d’en améliorer la place sur le marché national et à l’étranger. Ce serait là un bel exemple de partenariat gagnant-gagnant qui pourrait être profitable à toutes les parties prenantes à cette coalition nationale pour le consommer local.
Mamadou Kassé
Journaliste
madoukasse@yahoo.fr