Karim Wade : l’attente du verdict met Dakar en ébullition

 

Le Sénégal retient son souffle. Dans l’attente du verdict du procés de Karim Wade, annoncé pour le 23 mars, Dakar bruisse de réactions, de conjectures et de rumeurs. C’est d’abord l’ancien président et père de l’accusé, Abdoulaye Wade, qui a ouvert le bal. Le 25 février 2015, « Guorgui » (« vieux », en wolof) a répété qu’il ne laissera jamais le président Macky Sall condamner son fils.
Depuis le 17 avril 2013, l’ancien « super-ministre » est en détention à la prison de Rebeuss, dans l’attente du jugement par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Wade va plus loin, lâchant avec mépris que Macky Sall était un « descendant d’esclave » et que ses parents mangeaient de la « chair humaine ». Les réactions de l’opinion publique ne se sont pas faites attendre, condamnant les propos de l’ex-chef d’Etat sénégalais, « contraires aux réalités sociologiques du pays ».
Mais rien ne semble apaiser le leader du Parti démocratique sénégalais (PDS) et son entourage. Le 1er mars 2015, lors d’un point de presse organisé par le PDS de Kaolack (région centre), les partisans de Wade ont vidé leur chargeur sur le président Sall. « Abdoulaye Wade a beaucoup fait pour Macky Sall, mais malheureusement ce dernier se laisse manipuler par les ennemis de Wade qui ont toujours cherché à se venger de lui », déclarait Modou Dieng, responsable PDS à Kaolack.
Trois jours après cette rencontre de Kaolack, c’était autour des libéraux du PDS de Pikine (banlieue dakaroise) de faire une sortie dans la presse. « Le président Sall doit se mettre dans la tête que le 23 mars prochain il devra passer sur nos cadavres avant de condamner Karim Wade. Nous sommes prêts à mourir pour que Karim soit libre », a déclaré la responsable du parti à Pikine, Mame Absa Fall.
Déclarations belliqueuses et arrestations

La tension suscitée par l’attente du verdict du procès Karim Wade a atteint des proportions importantes le 13 mars avec l’arrestation de jeunes militants du PDS soupçonnés de vouloir déstabiliser le pays. Le lutteur Bathi Seras et Aminata Nguirane, coordonnatrice du mouvement de soutien Horizon 2017 ak Karim, ont été interpellés par la police. Ils ont été accusés de recruter des nervis pour semer le désordre au cas où Karim Wade écoperait d’une condamnation. En ligne de mire des accusations, le président Abdoulaye Wade est soupçonné d’être le principal instigateur de ce plan.
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L’ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade, le 4 février 2015, place de l’Obelisque à Dakar.
L’ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade, le 4 février 2015, place de l’Obelisque à Dakar. Crédits : AFP
L’un des avocats de Karim Wade, Me Amadou Lamine Sall, lors d’un meeting du PDS, dimanche 15 mars, à Guédiawaye s’est lui aussi essayé à la déclaration belliqueuse : « Si Macky Sall fait emprisonner Karim Wade, il ne passera pas une seule nuit de plus au palais ». Cet ancien ministre de la justice s’est mué en lanceur d’appel à la « résistance », qualifiant le chef de l’Etat, Macky Sall, de « peureux, incompétent, incapable et impuissant ». Avant de conclure : « Nous ferons face à lui. Que tout un chacun sort son bâton, gourdin, cuillère, pilon…pour la résistance ». Le lendemain, Amadou Lamine Sall, a été convoqué par la section de recherche de Colobane. Placé en garde-à-vue, il a été placé en détention, lui aussi, à la prison de Rebeuss auprès de son client, Karim Wade.
La journée du 16 mars aura été particulièrement éprouvante pour les membres de l’ancien régime avec, à la clé, une série d’arrestations. Babacar Mbaye Ngaraaf du mouvement Sauvons le Sunugal, pro Karim Wade, a été également convoqué à la police centrale puis retenu. Il en va de même pour le maire de Thiaroye Djeddah Kao (banlieue de Dakar), Cheikh Dieng. Selon des sources policières, il leur est reproché des actes de troubles à l’ordre public. Cheikh Dieng a expliqué lors de sa sortie d’audition : « La police m’a convoqué et m’a auditionné de 15 heures à 19 heures à propos de pneus que j’ai collectés depuis les mois d’octobre et novembre dans la mairie pour servir à des opérations de reboisement et de protection de jeunes plants. Les policiers, qui ont fait une réquisition à la marie, m’accusent de préparer des actions subversives ».
Les partisans d’Abdoulaye Wade restent convaincues que ces arrestations dont ils font l’objet traduisent une panique générale qui s’est emparée du camps du président Sall. Membre du comité directeur du PDS, Mayoro Faye a soutenu que la « peur a changé de camps ». Selon lui, l’intimidation ne passera pas et la résistance sera « bien réelle » si Karim Wade est condamné le 23 prochain. Le verdict est hautement attendu, la tension est à son paroxysme.

Amadou Bâ (contributeur Le Monde Afrique, Dakar)

lemonde.fr