Reportage en Libye: Dans l’enfer des prisons pour migrants africains

 

L’odeur âcre prend à la gorge. Un mélange d’urine, de sueur, d’eaux usées et de nourriture moisie. Le centre de détention pour migrants illégaux de Zawya, à quarante-cinq minutes à l’ouest de Tripoli, ne peut que marquer les esprits. Les 420 détenus ont été rassemblés dans la cour et profitent de quelques rayons de soleil. «C’est exceptionnel, c’est à cause de vous. D’habitude on reste enfermés toute la journée dans les dortoirs», affirme le Guinéen Bouna Camara qui se plaint de ne pas manger assez et d’être frappé par les gardes.

Les dortoirs sont en fait d’immenses pièces où s’entassent des matelas, ou à défaut des tapis. Les toilettes, constituées d’un trou et d’une arrivée d’eau, sont séparées de la pièce par un rideau en plastique ou une couverture. A 25 ans, Bouna Camara envie les migrants qui tentent de traverser la Méditerranée sur des embarcations de misère pour rejoindre l’Europe.

S’échapper à tout prix

Pourtant, dimanche, 400 migrants auraient disparu après un naufrage. Si le chiffre est confirmé, ce drame de l’immigration clandestine pourrait être le plus meurtrier de ceux, nombreux, qui ont déjà eu lieu entre l’Afrique et l’Europe. Mais Bouna Camara n’en a cure: «Je n’en peux plus. Je suis prêt à tout pour quitter cette prison.» Lamine Kabé, un détenu sénégalais, ne dit pas autre chose: «Rentrer au pays, partir en Europe, reprendre le travail à Tripoli… ça m’est égal mais qu’on me laisse sortir!»

Dans cette Libye au fonctionnement anarchique depuis la révolution de 2011, certains migrants retrouvent parfois la liberté. «Des Libyens viennent récupérer leurs employés qui ont été arrêtés. On leur fait signer un papier et ils repartent avec le patron», explique le lieutenant Khaled Attumi, directeur du centre. En Libye, les clandestins en majorité subsahariens effectuent toutes les tâches que les nationaux se refusent à faire: construction, service dans les restaurants, lavage de voitures… Autant dire que le pays a besoin d’eux. Seulement, la sécurité se détériorant, ils sont de plus en plus nombreux à chercher à quitter ce pays.

Dans un restaurant de la capitale, un Nigérien n’hésite pas à reconnaître: «Il me faut encore quelques mois de travail pour réunir la somme nécessaire pour rejoindre l’Europe.» Selon les passeurs, il faut compter environ 1000 euros pour avoir sa place sur un bateau.

Un directeur désemparé

Dans le centre de détention de Surman, 65 km à l’ouest de Tripoli, le directeur Ibrahim Marjoubi affirme accueillir «83 femmes, 4 enfants et 5 folles». Ces dernières apparaissent prostrées, cachées sous des couvertures. Dans une autre pièce sans lumière, Aïcha Mohamad dit avoir fait une fausse couche après son arrestation: «Nous n’avons rien à manger, les pièces sont sales, nous sommes maltraitées. On est des esclaves», explique la Nigérienne.

Erina Katherin, femme de ménage, a été arrêtée il y a cinq mois lorsque sa patronne libyenne l’a emmenée à la police car elle ne voulait plus d’elle. «Je veux partir. Mais nous n’avons pas de téléphone et l’ambassade ne s’inquiète pas de nous», se plaint cette Camerounaise.

Le lieutenant Khaled Attumi se sent lui aussi désemparé: «Nous sommes seuls. Il n’y a que l’ambassade du Niger qui vient de temps en temps. Même le gouvernement libyen ne nous aide pas: cela fait trois ans qu’il n’a pas payé l’entreprise qui fournit les repas aux détenus.» Le directeur du centre de Zawyia craint que la compagnie ne cesse son activité et prévient: «Si cela arrive, je relâche tout le monde. Je ne les garderai pas dans ces conditions!»


Externalisation à risques

La Commission européenne devait proposer courant mai un plan pour faire face à l’afflux de migrants en mer Méditerranée. D’ores et déjà, les organisations de défense des droits humains, qui réclament la fin de la politique du seul «verrou», dénoncent une «fuite en avant» apte à favoriser les mauvais traitements des migrants dans les pays de transit.

Parmi les projets figurent de nouveaux accords avec des Etats tiers. Il s’agit de donner aux pays par où passent les filières de l’immigration les clés de la gestion des problèmes: davantage de moyens pour contrôler les frontières et empêcher l’émigration, mise en place de centres d’accueil offshore des rquérants d’asile et accords de réadmission permettant, dans certains cas, de parquer des individus dont il aura suffi qu’ils aient transité par ledit pays dans leur périple migratoire.

Il y a deux ans encore, la Libye était considérée comme apte à entrer dans un tel schéma, suscitant de véhémentes critiques au vu du traitement réservé aux migrants, que l’on jette en prison. Le délitement de l’Etat libyen empêche pour l’heure tout accord d’importance. Mais d’autres dossiers avancent. L’Algérie, le Maroc et la Tunisie figurent sur la liste des pays pour lesquels des accords de réadmission sont en négociation. L’Italie pousse quant à elle pour étendre à l’Egypte et à la Tunisie les mandats de récupération des migrants en mer Méditerranée.

Or les ONG rappellent que les conditions assurant un traitement équitable et humain des migrants dans nombre de ces pays «partenaires» ne sont pas garanties. Par exemple, huit pays du Sud de la Méditerranée avec lesquels collabore déjà Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, considèrent l’émigration non autorisée comme un délit, alors que «le droit de quitter un pays y compris le sien» est garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Les ONG dénoncent aussi la liberté dont jouit Frontex pour passer, sans l’aval du Parlement européen, des accords de coopération policière dits «techniques». Or ces contrats soulèvent de nombreuses questions sur le respect du droit humanitaire.

Cathy Macherel

(24 heures)