
«Ce que nous avons réussi en France, nous devons le faire pour l’Europe. La faim dans le monde, et son illustration par le gaspillage alimentaire, est un scandale moral et éthique qui nécessite tout notre engagement.» Arash Derambarsh vient juste de sortir de l’Elysée où il a été reçu par un proche conseiller du président français François Hollande. Il déroule déjà son discours avec une conviction de tous les instants et un débit de mitraillette. Dans un bistrot à deux pas du Faubourg-Saint-Honoré (ses boutiques de luxe, ses ambassades et le palais présidentiel), l’élu municipal «divers droite» de la Courbevoie, 35 ans à peine, s’enflamme en évoquant sa victoire dans le combat contre la précarité.
En effet, c’est à l’unanimité que l’Assemblée nationale française a voté, le 21 mai, l’interdiction pour les grandes surfaces de jeter leurs invendus ou de les rendre impropres à la consommation. «Tous les supermarchés de plus de 400 m2 ont désormais l’obligation de remettre leurs denrées en fin de vie commerciale à l’association qui le sollicitera», explique Arash Derambarsh.
Ce croisé de l’antigaspillage avance un chiffre: en moyenne, ce serait 40 kg de marchandises qui peuvent être redistribués le soir même. Cette possibilité s’apparente à un circuit court de l’humanitaire qui vient compléter le travail effectué par les grandes structures agréées équipées de possibilité de stockage, comme les Restos du Cœur ou le Secours catholique.
Produit de la jet-set
«La proximité, je l’ai expérimentée à Courbevoie avec mon association. Nous avons pu nourrir 100 personnes tous les soirs. Ce n’est pas rien, alors que le nombre de SDF explose et que même la classe moyenne commence à être serré dès le 10 du mois», met en perspective Arash Derambarsh. Sa croisade a commencé là.
Alors que des supermarchés refusaient de lui céder les invendus, le vibrionnant politicien met en ligne une pétition sur le site change.org qui récolte 200 000 signatures en quatre mois. Le réalisateur et comédien Mathieu Kassovitz parraine l’opération. Omar Sy et Johnny Hallyday cautionnent aussi. Le lobby «pipole» doublé de la pression citoyenne vient ainsi soutenir un texte de loi qui est déjà dans le circuit parlementaire.
Ce coup médiatique et politique (la presse du monde entier s’intéresse à lui) lui attire évidemment des critiques. Il les balaie d’un revers de la main. «Je ne me présenterai à aucune élection avant les municipales de 2020 pour prouver ma sincérité», glisse ce proche de la famille des Républicains. Fils bien né d’Iraniens ayant fui la révolution islamique, il dit ne pas vouloir qu’on s’attarde sur lui.
Il y a évidemment du Rastignac chez ce jeune homme impatient dont le profil Flickr regorge de photos de lui avec… à peu près tout le monde: Bono, les frères Bogdanov, Roland Dumas ou Nasser Al-Khelaïfi, le président milliardaire du PSG. Car, avant d’être une figure de l’antigaspillage, Arash Derambarsh a été un «jet-setteur».
La Croix-Rouge française et Action contre la faim, dont les deux présidents accompagnaient Arash Derambarsh lors de sa visite à l’Elysée, se félicitent de cette manière énergique de médiatiser leur combat. «Nous avons en France quelque 80 épiceries sociales dont bénéficient plus de 160 000 foyers. La redistribution dans l’urgence de denrées promises à la destruction est une déclinaison de ce que nous faisons depuis toujours pour lutter contre la précarité», affirme Antoine Boutonnet, directeur départemental de la Croix-Rouge.
Objectif: Bruxelles
Et maintenant l’Europe! Arash Derambarsh veut ainsi lancer une initiative citoyenne européenne pour contraindre la Commission européenne de reprendre la loi antigaspillage tricolore. «La France est le premier pays au monde à dire non aussi clairement au gaspillage alimentaire. Nous voulons que François Hollande soit notre relais auprès de l’UE. Lutter contre la faim et la soif mérite qu’on dépasse les clivages politiques», lance-t-il.
Il lui faudra récolter un million de signatures. Pour Arash Derambarsh, cela ne fait aucun doute. Bien que tout ne soit pas encore bouclé. Mais il dit avoir eu le soutien de personnalités telles que l’activiste écolo Tristram Stuart au Royaume-Uni, le député européen belge Frédéric Daerden ou l’animateur journaliste Nikos Aliagas pour la Grèce.
(24 heures)