D’hier à aujourd’hui : Tabaski à Bakel

Comparaison n’est pas forcément raison ! C’est connu ! Hier n’est plus aujourd’hui : une autre vérité, pour ne pas dire une lapalissade. Comme dans un conte, en milieu Soninke : « – Kha ti ha yi ! Hayi ko gonga, hayi ko fénandé ! »
C’est l’introduction au cours de nos veillées, de nos soirées « contes » d’autrefois. Cela nous ramène à trente, quarante, cinquante ans dans le passé. A Bakel, bien avant cette grande fête, l’effervescence se notait : on la sentait partout. Les femmes mettaient, durant des jours, du henné aux pieds et aux mains pour les noircir en adoptant des figures géométriques sorties de leur « école » ; elles fréquentaient aussi les tresseuses, les bijoutiers et les tailleurs. Les classes d’âge chez les garçons comme chez les filles n’étaient pas en reste. Cependant aucune inquiétude ne provenait des nuages pour assombrir le ciel de la cérémonie : d’un commun accord tous se rendaient au « Salli khérou », la grande place réservée à cette occasion à la prière de l’Aid El Kebir. Longtemps avant la Tabaski, les garçons de la même génération se fixaient des cotisations qui serviront à l’achat du thé mais surtout du lait (chaud blanc) et du sucre pour la veille de la grande fête. Ce soir-là, ils se retrouvaient chez le chef de groupe. Ils faisaient ensuite le tour de la ville jusqu’à une heure tardive. Ils animaient avec des cris et des chants. Quant aux jeunes filles, durant toute la nuit les malheureuses puisaient l’eau du fleuve Sénégal pour remplir les canaris, tous les canaris des maisons des membres de leur groupe.

A l’époque, il n’y avait aucun robinet à Bakel. L’eau de boisson, de linge, de cuisine, de bain, tout venait du fleuve. Quel courage pour ces demoiselles qui, après tant d’efforts ont un reste d’énergie qui leur permet de danser en chantant au clair de lune car l’éclairage public ne durait que quatre heures : de 20h à minuit. A l’aube de ce grand jour, les garçons prenaient les moutons pour les laver au fleuve. Ils en profitaient pour faire un brin de toilette. Pendant ce temps, les demoiselles balayaient, nettoyaient, s’occupaient auprès des femmes, les grandes, à préparer la maison avant le retour des hommes. Dès 9 heures, la prière commençait, suivie du sermon de l’Imam qui immolait ensuite son mouton. Son geste était répété dans chaque famille. Les enfants prenaient bien soin des restes de l’animal qu’ils amenaient au fleuve : intestins, pattes, tètes……la peau était bien traitée, devant servir de natte de prière plus tard.

La maison du chef de groupe, vers 14 heures, recevait les enfants avec chacun son repas. Une fois sur place, tout se faisait en commun car la Tabaski est un jour de fête, de solidarité, d’entraide, de communion, d’amour. A partir de 17 heures, les garçons et les filles vêtus de leurs beaux boubous, comme pour la prière du matin arpentaient les rues. Ils avaient chacun un objectif, Ils n’erraient pas. Chacun allait voir ses parents pour les étrennes et présenter par la même occasion ses souhaits de bonne année. Le soir, un tam-tam était organisé à la grande place du village : de nos jours nous assistons à deux fêtes ou même trois. Signe de mésentente, de fatuité, de non considération de son prochain. L’individualisme s’accentue, avec lui la recherche éperdue du gain. Les rues sont envahies par les enfants dès après le déjeuner. Garçons et filles, comme des talibés, tendent la main à chaque passant. Le sens de la fête est dévié. Puis les chaines à musique tympanisent les gens avec de la musique d’ailleurs. Plus de « Worosso », de « jamba », de « Kofili », de « Tankoro …
ces danses de chez nous !

Bakel s’étire et devient un véritable lieu de brassage ethnique donc culturel : Soninkés, Pulars, Bambaras, Wolofs, Maures vivent harmonieusement. Cet avantage est malheureusement mal exploité par les populations autochtones. Il faut s’ouvrir, mais il ne faut pas oublier ses racines. Ce sont elles qui nous fixent et nous rappellent notre passé.

Il est regrettable de constater de nos jours que nos repères sont perdus. Ils ont disparu. Dans nos cérémonies (mariages, circoncisions, baptêmes et même décès) nous nous oublions, nous pensons trop aux autres. Il faut, maintenant, faire la part des choses. Sans nostalgie, ces veilles de Tabaski doivent revenir avec toute leur charge émotive et émotionnelle et enseigner aux jeunes générations toutes les vertus piétinées. Grand-père ne disait-il pas : « bien se connaitre, c’est mieux aimer son prochain ! » Pensons-y.

Idrissa Diarra / radio-jiida.com/