[DOSSIER] Gouloumbou : La hantise de l’hippopotame tueur

Terrorisés par l’hippopotame qui, en 13 ans, a fait 23 morts, les populations de Gouloumbou demandent qu’il soit éliminé ou transféré au Parc  national de Niokolo-Koba. L’animal est, aujourd’hui, à l’origine du chômage et de la raréfaction du poisson dans la région de Tambacounda.

Situé  à 30 kilomètres au sud de la commune de Tambacounda, le village  de Gouloumbou, est  devenu célèbre grâce à son hippopotame. L’animal le plus  haï par les villageois a déjà tué entre  2001  et  2014, environ 23 personnes, en majorité des pêcheurs. Il tue, parfois, les membres de la même famille. « Mais depuis un an, l’hippopotame n’a pas fait de victimes. Nous essayons d’oublier ces événements malheureux », raconte une restauratrice trouvée à quelques mètres du Pont de Gouloumbou où la plupart des pêcheurs ont été tués par l’animal.  Cette dame au teint clair n’est pas la seule qui mène une activité commerciale sur les lieux. D’autres femmes essaient d’écouler les fruits notamment la banane locale.

Elles accourent dès qu’un véhicule stationne à la place publique du village qui est en même temps, le carrefour commercial. Ici,  la vie reprend son cours, après le décès du muezzin du  village, décapité par l’hippopotame. Cette mort tragique a créé une peur chez les pêcheurs. Ils n’osent plus aller au fleuve. Ils ont peur d’être tués par l’hippopotame qui continue de faire la ronde entre la Gambie et le Parc national du Niokolo-Koba, en traversant  Gouloumbou et ses champs de bananes. Ce voyage aller et retour est à l’origine  du ralentissement de l’économie du village. « On n’ose plus aller dans le fleuve. Par conséquence, le poisson se fait rare dans toute la région de Tambacounda », a indiqué le pêcheur Samba Fall.  Installé  à Gouloumbou en 1968, le vieux pêcheur n’a jamais imaginé qu’un jour, il sera privé du fleuve à cause d’un hippopotame. « J’ai pêché partout dans  le fleuve Gambie. Parfois, il m’arrive d’aller jusqu’en Guinée Bissau. Je n’ai jamais imaginé que les pêcheurs auront peur, un jour, d’aller dans le fleuve à cause des agressions des hippopotames », a soutenu le vieux pêcheur. Né en 1937,  Samba Fall, en plus des activités de la pêche, prenait sa pirogue pour faire voyager des gens. Il lui arrivait d’amener des passagers jusqu’à Bakel ou en Gambie en traversant ce fleuve. « Aujourd’hui, tout cela n’est pas possible », s’est-il désolé.

Pourtant, cet homme d’un âge avancé raconte que dans le fleuve gambien, il y avait toujours des hippopotames. « On les croisait en pleine mer. Ils n’attaquaient personne. Mais ces dernières années, nous avons vu des hippopotames provoquer et tuer des pêcheurs »,  souligne notre interlocuteur en baissant la tête.  Parmi, les nombreux hippopotames, il y a un seul qui tue, d’après Abdoulaye Samba Sarr. Selon lui, il  est de couleur noire. « Quand, il veut faire sa  sale besogne, il se couche dans les filets tendus par les pêcheurs pour pêcher du poisson. Dès que vous tirez le filet, il réagit en vous tirant vers lui. Il vous fait tomber dans l’eau et vous tue en une fraction de seconde.

Problémes mystiques
C’est tellement rapide que la victime n’a que le temps de pousser ses derniers cris avant de mourir», explique Ibrahima Fall qui a assisté à la mort de l’un de ses collègues pêcheurs sans pouvoir le sauver. « C’était le muezzin. Après la prière du soir, il est retourné à la mer pour voir son filet. Il ne savait pas qu’il avait rendez-vous avec la mort ce jour-là. En voulant tirer son filet, il était tombé dans le piège de l’hippopotame qui l’a soulevé jusqu’en haut avant de le tuer. Ce jour-là, il y avait du sang partout. Mais on ne pouvait rien contre cet animal puisqu’il est protégés par les autorités», regrette Ibrahima Fall. Au début de notre reportage, la restauratrice avait évoqué un problème mystique entre pêcheurs dont certains ont poussé l’hippopotame à tuer certains d’entre-eux.  Ces propos sont rejetés par Adama Fall pour qui les pêcheurs de  Gouloumbou n’ont pas de problèmes entre eux. « Il y a rien de mystique dans ce fleuve », a-t-il dit. Pour le notable Mouhamadou Coulibaly, les hippopotames agressent et tuent des populations parce qu’ils sont pourchassés en Gambie.

Dans ce pays, il n’est pas interdit  de tuer un hippopotame au cours d’une chasse. Par conséquent, les animaux font un repli au Sénégal où ils sont protégés. Se sentant menacés, ils sont  souvent sous la défensive et prêts à attaquer les personnes. « C’est ce qui explique, ces dernière années, le fait que nos populations, en particulier les pêcheurs, sont agressées et même tués par les hippopotames », a expliqué le représentant du maire du Gouloumbou, Mouhamadou Coulibaly.

D’autres personnes avancent le fait que beaucoup de femmes font le linge aux bords du fleuve. « Cela énerve l’animal  qui  ne se sent plus en sécurité. Il est obligé d’attaquer les populations », soutient une dame trouvée au marché de Gouloumbou. Toutes ces explications sont rejetées par les pêcheurs. Ils veulent une seule chose,  que l’animal soit liquidé ou transféré au Parc national Niokolo-Koba.

« Les populations de Gouloumbou et environs ne peuvent pas être pris en otage par un animal. Il nous prive de nos mouvements et nous appauvrisse. Je pense que la solution est de le tuer. L’Etat doit éliminer cet hippopotame. Nous le connaissons. Il est de couleur noire », argumente Abdoulaye Samba Sarr qui a estimé que ce n’est pas normal qu’un animal protégé par les autorités continue de terroriser  toute  une population. « Des familles sont disloquées à cause de cet hippopotame.  Beaucoup de pêcheurs sont partis vivre en Gambie parce qu’ils ont honte de ne plus pouvoir  assurer les trois repas quotidiens aux membres de leurs famille à cause d’un animal », a signalé M Sarr.  Et le retour au fleuve ne sera pas pour bientôt, parce que  l’hippopotame continue de traverser le Gouloumbou. Il est parfois visible aux abords du fleuve et dans les champs de bananes puisqu’il se nourrit d’herbe.

Par Eugène KALY et Ibrahima BA (textes)

IBRAHIMA FALL, PECHEUR : « LE JOUR OÙ L’HIPPOPOTAME NOIR M’A ATTAQUÉ… »
Les yeux rouges, le regard dans le vide, Ibrahima Fall est le seul pêcheur de Gouloumbou qui a réussi à échapper à l’attaque de l’hippopotame noir. L’air perdu, il se rappelle comme aujourd’hui le jour de sa mésaventure dans les eaux du fleuve Gambie.

Il avait juré de ne plus parler de ce « fameux » hippopotame, tellement il en garde encore des souvenirs qui font trembler. Cet épisode d’une vie qui l’a marqué à jamais, il peine à le raconter au premier venu. Mais à force de le convaincre, le colosse a fini par céder. Ibrahima Fall mérite bien qu’on l’appelle monsieur trompe-la- mort. Ce pêcheur de 35 ans, marié et père deux enfants, a certainement plus de chance que ses pairs. L’homme a réussi un sacré coup, en échappant à l’animal. « Un dimanche matin, vers les coups de 9 heures, je suis allé faire une partie de pêche. Après avoir posé mes filets, en me retournant, j’ai senti d’un coup la présence de l’hippopotame. Lorsqu’il m’a vu, il a plongé dans l’eau pour éloigner son petit. L’animal est revenu quelques minutes après pour se cacher au niveau des buissons, c’est-à-dire sur la voie que nous prenions souvent pour sortir de l’eau », soutient-t-il. A l’en croire, l’hippopotame voulait coûte que coûte en découdre avec lui.

Dans ses attaques, l’animal utilise un seul mode opératoire : l’attaque des pirogues qu’il renverse dans les eaux avec leurs occupants. « Lorsque j’ai commencé à m’approcher du rivage, dans mon esprit, quelque chose me disait qu’il y a un grand danger autour de moi. J’ai décidé alors de faire demi-tour avec ma pirogue. D’habitude l’hippopotame profite de la présence des gens sur une pirogue pour les capturer et les noyer dans les eaux. Il arrive même qu’il mette en morceaux sa proie », poursuit Ibrahima Fall. Lorsque l’hippopotame l’a vu faire demi-tour, ne se sentant plus dans une situation confortable pour le tuer, il s’est saisi de la pirogue pour la jeter de l’autre côté. « Son objectif c’était que de me tendre un piège. En tombant dans l’eau, je me suis retrouvé dans un guet-à-pens. J’étais coincé. Je suis resté sur place, attendant au fonds des eaux. Mais sachant que je ne peux pas tenir pendant longtemps dans l’eau, j’ai décidé de foncer vers le rivage », avance-t-il.

C’est alors, explique le pêcheur, que s’est ouverte une course contre la mort. Car, il fallait atteindre le rivage avant que ne surgisse l’animal. « Heureusement, j’ai pu retrouver le filet que j’avais posé aux abords. Le prédateur sentant le coup lui échapper renonça. Toutefois, il est allé m’attendre sur mon chemin du retour, hors de l’eau, sur une distance d’un kilomètre. Il y est resté pendant des heures. J’ai décidé de changer d’itinéraire pour rentrer au village. Si j’ai échappé à cette attaque, c’est parce que tout simplement mon heure n’avait pas encore sonné », laisse-t-il entendre. Il a fallu attendre le lendemain pour que Ibrahima Fall revienne avec une charrette au rivage pour ainsi reprendre sa pirogue.

LES PÊCHEURS DE GOULOUMBOU ENTRE CHÔMAGE ET PAUVRETÉ
Depuis l’apparition de l’hippopotame, la vie économique est au ralenti dans Gouloumbou et ses environs. La pauvreté gagne du terrain dans ce village composé de pêcheurs, d’agriculteurs et d’éleveurs. Une pauvreté qui s’explique par le fait que, faute de sécurité, les pêcheurs ne peuvent plus pêcher dans le fleuve Gambie où l’hippopotame règne en maître. « Nous sommes tous au chômage parce qu’il n’y a plus de sécurité dans le fleuve », a lancé le vieux pêcheur Samba Fall. Barbe blanche, Samba Fall est très touché en voyant de jeunes pêcheurs rester dans les maisons, aux côtés de leurs épouses et enfants, sans rien faire à cause d’un animal. « Ces jeunes ne connaissent que la pêche, malheureusement, ils sont privés de cette activité depuis bientôt un an », a regretté M. Fall.

Justement, depuis un an, les pêcheurs de Gouloumbou passent la plupart de leur temps à boire du thé. Une situation difficile qu’ils ne digèrent pas. « Nous avons, pour l’essentiel, chacun deux épouses et des enfants qu’il faut nourrir et entretenir. Nous n’avons plus les moyens de le faire à cause de l’hippopotame qui tue tout sur son passage. Il nous a entraînés dans le chômage et la pauvreté », a regretté Ibrahima Fall qui a échappé plusieurs fois aux attaques de l’hippopotame. Pour Abdoulaye Samba Sarr, seules les activités comme la pisciculture peuvent sauver les pêcheurs de Gouloumbou qui sentent de plus en plus le poids de la pauvreté.

LE GOUVERNEMENT SOLLICITÉ POUR FAIRE FACE À LA PAUVRETÉ
« Nous sommes fatigués. Les choses ne marchent pas. Le président de la République doit soutenir les pêcheurs de Gouloumbou qui ne peuvent plus aller pêcher à cause de l’hippopotame », a lancé Adama Fall. Les autorités avaient remis dans le passé de l’argent aux familles de victimes. Ce soutien, selon notre interlocuteur, ne suffit pas. « Le chef de l’Etat et ses collaborateurs, à défaut de tuer l’hippopotame, doivent trouver une solution à nos difficultés », a souligné M. Fall. Justement l’Etat a proposé des solutions aux pêcheurs de Gouloumbou en leur octroyant deux pirogues motorisées.

Malheureusement, elles sont garées dans les locaux du poste de service des Eaux et Forêts du village parce que n’ayant pas des équipements nécessaires pour les faire fonctionner. En plus, le ministère de l’Environnement n’est pas retourné à Gouloumbou pour procéder à la cérémonie de remise de ce matériel pour permettre aux bénéficiaires de l’utiliser.

ACCÈS A LA TERRE : LES POPULATIONS DE GOULOUMBOU DEMANDENT L’ARBITRAGE DE L’ETAT
Gouloumbou. Un village très riche. Il est entouré d’une forêt classée et traversé par le fleuve Gambie. Ici, il y a la terre, le soleil et l’eau comme l’on a habitude de le dire. Cependant, les populations surtout les natifs du village n’ont pas accès à leur terre et au fleuve. Selon Mouhamadou Coulibaly, les autorités ont privé les habitants de Gouloumbou de cette richesse. « L’Etat nous a interdit de cultiver dans une bonne partie en parlant de forêt classée. Pourtant, il attribue ces mêmes périmètres aux personnes étrangères qui cultivent de la banane et emploient les populations de la localité. Ce qui, d’après Mouhamadou Coulibaly, a accentué la pauvreté dans le village. « Nous ne profitons pas de la richesse de nos terres. Ce n’est pas normal », a-t-il dénoncé. Pour mettre fin à cette situation, les villageois ont écrit une lettre au président de la République pour lui demander de déclasser une partie de la forêt pour leur permettre de pratiquer la culture de la banane et de l’arachide. La seule satisfaction est que le village de Gouloumbou dispose d’un cantonnement militaire, des postes de la gendarmerie, du contrôle des Eaux et Forêts et celui de la Douane nationale.

Sur le plan de l’éducation, Gouloumbou a un collège et une école primaire. Son marché hebdomadaire est fréquenté par des commerçants de toute la région orientale. « Il fait d’ailleurs notre fierté », a fait savoir Mouhamadou Coulibaly qui a ajouté : « Nous avons aussi deux grandes mosquées et un sanctuaire marial. Ce sont ces infrastructures qui nous donnent la joie de vivre. Une joie que l’hippopotame a mis en cause ces dernières années », a souligné M. Coulibaly.

Par Eugène KALY et Ibrahima BA (textes) / lesoleil.sn /