Combien de Kédougou pour la propagande djihadiste ?

Dans son édition du jour, le quotidien « EnQuête » citant les témoignages de 8 compatriotes arrêtés récemment en Mauritanie et extradés au Sénégal, révèle que « 23 djihadistes sénégalais ont rejoint Boko Haram depuis 2015 et sont activement impliqués dans les combats ». Aux autres révélations d’une grande importance, il y a celle de l’intention de ces « fous » de Dieu de construire un centre, à Kédougou, pour transmettre les bienfaits du Djihad », note « EnQuête ». Nul doute que nos forces de sécurité et de défense ont déjà tiré les conclusions de ces révélations et ont pris, à coup sûr, les mesures qui s’imposent.

Il importe cependant de souligner que ces révélations ont tout leur pesant d’or en ce sens qu’elles attestent du ciblage intelligent de ces djihadistes très en phase avec notre époque. Le choix déclaré de Kédougou n’est, en aucun doute, pas fortuit. Cette région admise comme étant l’une des plus pauvres du Sénégal est un carrefour où se croisent Maliens, Guinéens, Gambiens, Sierra-léonais, Nigérians et une multitude d’autres ressortissants de la sous-région. Avec l’exploitation sauvage dans les zones minières et aurifères dans cette partie du pays, la misère et le désœuvrement des populations autochtones, ainsi que leurs aspirations légitimes à une vie meilleure sont contraints de s’accommoder à ce qui ressemble à une invasion de chasseurs de fortune en quête absolue de richesse et de compagnies minières perçues, à tort ou à raison, comme des prédatrices avec la complicité de l’Etat.

A l’évidence condamnable et non souhaitée, la vindicte populaire dirigée contre les équipements et les installations de Sabodala Gold ainsi que la répression qui s’en est suivi, ne sont pas que de simples épiphénomènes mettant en scène des groupes de vandales. C’est l’expression spontanée d’une accumulation débordante de frustrations nées de la mise en œuvre mal élaborée de politiques d’exploitation et de partage des ressources nationales. Et lorsque les populations qui se sentent ou croient être lésées côtoient des marchands d’illusions comme les djihadistes et les aventuriers du fanatisme religieux venus d’ailleurs, c’est le lit idéal pour la propagande dénaturée de l’Islam radical.

Or, nombreux sont les Kédougou en miniature sur l’ensemble du territoire national. Malheureusement, beaucoup de politiques publiques tardent à prendre en compte l’urgence de s’attaquer de façon frontale à ces questions brûlantes de distribution équitable de la richesse de leurs terroirs, voire du bien national. Il n’est pas rare de voir des compagnies accepter par exemple de recruter une main d’œuvre locale afin de s’installer dans une zone pour ensuite procéder à un licenciement massif sans jamais être inquiéter. Et lorsque des conflits naissent, les solutions ponctuelles par la répression et l’intimidation son souvent privilégiées au détriment de la prise de mesures stratégiques correctives et rectificatives courageuses.

L’Etat est donc interpellé dans son ultime responsabilité de créer les conditions économiques et sociales d’une fierté pour chaque citoyen d’appartenir à la nation sénégalaise sans condition de race, d’ethnie ou de religion. Aux parents et aux chefs religieux, il incombe le devoir de se montrer à la hauteur de leurs obligations sociétales et morales de sorte que leurs foyers et leurs mosquées ne soient pas le nid de futurs djihadistes.

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