[CONTRIBUTION] La mendicité vous va si bien !

En découvrant dans la pesse en ligne, les titres évoquant le défilé de talibés lors de la célébration du 4 avril à Tambacounda, je fus frappé d’une immense joie. Quel enfant n’a pas rêvé d’avoir son moment de gloire, de jouer les vedettes devant un parterre d’autorités et un public l’acclamant à tue-tête ! Mon sentiment était à la célébration de cette initiative qui sortait les talibés de leur prison pour en faire des enfants comme les autres, ou presque !…

Ou presque, car en découvrant les images derrière les titres, je ne puis m’empêcher de voir cette chose qui ôta de moi toute fierté. Cette chose qui symbolise l’aliénation même, le rabaissement ultime de l’individu… Les bras m’en tombent, et c’est le cas de le dire ! Qui a eu l’idée, me suis-je demandé, de leur affubler de ce ridicule pot de la misère comme pour sceller leur sort dans le macadam de la mendicité. Ce macadam de la parade et des honneurs qui était censé les sortir de leur condition pour en faire des enfants comme les autres s’est transformé à leur insu, en cadenas du déterminisme social qui les enferme dans ce rôle de mendiant de la société. Le perfectionnisme a été poussé jusqu’à l’uniformisation des cordelettes de ces sébiles de circonstance. Et dire que dans l’organisation, nul ne s’est interrogé utilement sur l’intérêt d’arborer cette chose assimilée inconsciemment à un équipement standard comme l’arme chez le soldat. Un stylo, oui ! Ou encore une tablette pour faire allusion à l’apprentissage, vocation des daaras (écoles coraniques) ou prétexte de cette prise d’otage sociale des enfants. La place de ces derniers est au sein des familles et à l’école (arabe ou française), mais certainement pas dans la rue en quête de leur pitance et de celle de leur maître.

Pourquoi donc cette chose ridicule pour habiller leur jeunesse pourtant si belle, pour parachever leur tenue pourtant si magnifique ?

Un besoin d’identification par des spectateurs ? Peut-être, mais ce serait faire insulte à leur intelligence.

Un message à la société et aux politiques pour qu’ils puissent se voir sous leur vraie cruauté en abandonnant ces enfants ? Je soupçonne la méthode beaucoup trop subtile, surtout qu’elle revêtirait des allures de défiance envers l’autorité publique, elle-même organisatrice de l’évènement.

Je parierai plus pour le geste machinal, l’évidence banale de la retranscription littérale sans questionnement. Et cela est dommage, car l’occasion était trop belle pour être ratée. Quel moment plus solennel que la fête de l’indépendance pour revendiquer et exiger la libération des enfants de ce fléau de la mendicité ! Pourtant, beaucoup semblent se réjouir de cette initiative, du simple fait de voir ces enfants enfin propres, enfin normaux… ou presque, enfin à leur place. C’est là, le seul mérite de cette initiative.

Il est temps que la société prenne ses responsabilités, que l’État prenne la sienne et légifère très rapidement sur le statut des daaras et applique la constitution qui sanctuarise le droit de l’enfant.

L’article 22 interpelle l’autorité publique ainsi : « l’État a le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques. Tous les enfants, garçons et filles, en tous lieux du territoire national, ont le droit d’accéder à l’école. ».

Quant aux parents et aux collectivités locales, l’article 20 de cette même constitution les rappelle à leurs obligations : « les parents ont le droit naturel et le devoir d’élever leurs enfants. Ils sont soutenus, dans cette tâche, par l’État et les collectivités publiques. La jeunesse est protégée par l’État et les collectivités publiques contre l’exploitation, la drogue, les stupéfiants, l’abandon moral et la délinquance. ». Il nous a été maintes fois rappelé ces derniers temps, que la constitution est sacrée et transcende les individus. Alors, ne soyons pas sélectifs dans nos intérêts ; mettons-la en œuvre au-delà des mots pour le bien de tous, dont les enfants.

Pour revenir à ce fameux défilé du 4 avril, je retiendrai que ce qui était au départ une belle initiative, s’est malheureusement transformée en formidable bide. Et de se demander à quoi bon en faire des enfants comme les autres ? La mendicité ne leur va-t-elle pas si bien !

Ensemble, réinventons le Sénégal ©

Yatma DIEYE