[CONTRIBUTION] Quand la couardise de la gauche risque de faire élire un monstre ultra-libéral du nom d’Abdoul MBAYE!

La vie politique de notre pays a ceci d’intéressant qu’elle révèle bien souvent à l’opinion publique  des personnages cocasses, mais surtout surprenants par leurs ambitions à la fois irrésistibles et indifférentes à tout, à la décence, à la morale, au civisme et à l’esprit républicain le plus élémentaire.

Abdoul MBAYE, banquier à la retraite et ancien premier ministre de l’actuel régime, vient de créer son parti. Né avec une cuillère d’argent dans la bouche et d’un père haut dans l’estime de nos compatriotes jusqu’à sa mort pour sa très haute idée de l’éthique, du bien public et son sens aigu de la justice, Abdoul MBAYE a maille à partir avec celle- ci, au sens judiciaire. Se lancer dans la course à la présidence de la république pour se protéger contre la justice est certes une ambition “légitime” à son échelle personnelle, mais elle est bien minable à celle de notre peuple qui, plongé dans un dénuement de plus en plus grave, cherche au fil des alternances une véritable alternative à ces politiques dépourvues d’ambition et d’audace.

Probité morale et popularité affective du père auprès des Sénégalais. Affaires judiciaires pour le fils. La nature ne lègue  pas les valeurs, ni les qualités morales!

Banquier exact, technocrate et personnage politique pudibond, le nouveau politicien n’a jamais été du peuple. Dans son univers social, voire affectif, ce sont les François Hollande son camarade de promotion  et les Christine Lagarde du FMI qu’il côtoie.

L’ancien premier ministre a une vision politique. C’est celle qu’il a déclinée sous des airs moralisateurs  dans son discours lors de la cérémonie d’annonce de la création de son parti. Sa manière de voir notre pays et le monde est un réchauffé du catéchisme méprisant que nous servent ceux qui ruinent  nos espoirs depuis toujours au profit de leur petit monde de riches.

Cet homme est la figure locale et sous- régionale la plus brillante et la plus fidèle de l’empire des banques et de la finance internationales sur les économies africaines. Banquier n’est pas qu’un métier. C’est aussi un rapport au monde, une culture, celle de la cruauté sociale et de la propension à criminaliser  la pauvreté. C’est une vieille  tradition de profonde dilection pour l’hégémonie du capital et une aversion affective et politique pour le petit peuple et sa misère.

Si la gauche  ne veut pas disparaître du paysage politique pour les dix années à venir, elle doit se rendre  capable de répondre aux défis que pose l’irruption de cet homme sur la scène politique. Ce n’est d’ailleurs pas que l’affaire de la gauche mais celle  de  toutes celles et de tous ceux qui ont à cœur de participer à impulser une nouvelle dynamique pour nous défaire du joug de politiciens sans scrupule, de multinationales prédatrices et  des institutions financières rapaces qui nous étranglent depuis plus d’un siècle.

Nos aspirations aux stratégies de développement endogènes ne peuvent être conduites par un homme qui n’est ni du peuple ni de son ” rythme”, selon le mot de SENGHOR. La braise sociale dans laquelle nous avons les pieds n’est pas un mot; elle ne se transmet pas par le verbe. Aussi est-il nécessaire de l’avoir éprouvée pour entendre notre clameur, nos souffrances, nos rêves d’égalité, de bonheur , d’émancipation ainsi que nos espoirs, déçus par les régimes successifs.

L’homme politique qui vient de naître en Abdoul MBAYE est un des visages symptomatiques des maux qui gangrènent notre pays. Ces maux viennent de loin! Ils sont politique, économique, sociétal  et institutionnel. Le régime précédent y tient une lourde part de responsabilité. Mais, ce sont  les atermoiements du régime actuel qui en renforcent les causes.

Nous avons vu Abdoulaye WADE rougir  le fer dont sont forgés le rabaissement des plus hautes fonctions de la république, la fièvre identitaire ainsi que ses avatars, le rejet de l’autre et la crispation religieuse, qui déferlent aujourd’hui sur notre pays, la prévarication comme critère de promotion, la soumission du pouvoir politique ou temporel au pouvoir spirituel. A cette époque-là  la classe politique, surtout l’opposition de gauche, savait apprécier le  sens de l’épaisseur historique de notre pays  pour prévenir contre les impasses désastreuses, et elle était pénétrée du sens de son devoir à l’égard de la postérité. La gauche avait encore le courage de rappeler son attachement aux valeurs, aux principes et institutions; elle ne se taisait pas quand des fanatiques musulmans s’insurger contre la liberté,la république, la laïcité etc. La politique n’était pas tout à fait devenue une foire d’empoigne pour des gains électoraux,un abri pour échapper à la justice,elle jouait encore au minimum son rôle d’éducation et de diffusion d’idées.

Mais, il en est autrement depuis WADE. Aujourd’hui avec Macky SALL et une partie de la gauche. Les voilà qui se tiennent la main autour des derniers feux de notre patrie républicaine pour une méprisable farandole sur le parvis  de la république.

Ainsi donc, dans notre pays les chercheurs et les universitaires sont soumis à l’injonction de quelques dévots musulmans leur demandant de ne prendre la parole dans l’espace public que pour faire écho à leurs croyances et illusions apaisantes, sinon de la boucler tout simplement. Omar Sankharé a payé de sa vie sa résolution à obéir à  la voix de la raison. D’autres hommes de culture se sont vu signifier  de foutre le camp des manifestations culturelles avec leurs œuvres artistiques, pour cause: absence de résonance avec les croyances.

Le crédo  est affligeant qui assujettit désormais la production intellectuelle, culturelle et artistique à la volonté aveugle de quelques militants de l’islam politique: Pas d’autre vérité que   “celle”de la foi!

Nous sommes de ses  rares pays au monde qui entendent se développer en laissant  prospérer la haine de la raison et de l’humanisme universel.

C’est dans cette ambiance très lourde qu’on entendra un leader d’opinion ou dignitaire religieux, Serigne Modou Kara MBACKÉ, s’égosiller contre le président de la république à qui il rappelle ne reconnaître aucune autre autorité si ce n’est celle de dieu. Celui qui tient son autorité du suffrage universel du peuple ne vaudrait pas plus qu’une cannette de coca aux yeux du marabout.

Il convient de rappeler ces faits aux allures anecdotiques non pas pour ce qu’ils sont en eux-mêmes mais pour la vision d’ensemble qu’ils permettent d’élaborer  sur  la situation du pays. Ce sont là de petits craquements presque inaudibles dans le vacarme de la vie publique de notre pays. Mais leur enchaînement à un rythme régulier est le signe que quelque chose se délite dans l’imaginaire collectif des sénégalais.

Sinon, comment comprendre, sans les justifier bien sûr,  la morgue et l’arrogance doucereuse qui ont transparu  des propos d’Abdoul MBAYE infantilisant le président de la république: “Mon Macky”, a- t- il laissé échapper de ses babines suintant la suffisance?

D’évidence, il y a un fond d’air hostile aux institutions, à leurs représentants, à la politique et aux acteurs qui l’incarnent. Et disons ceci par ailleurs, nous ne sommes pas très loin du creux de la vague, celle des  mouvements de contestation  aux orientations diverses qui ont mis à bas des démocraties plus solides que la nôtre. Tous ces signes de rupture ont quelque chose à voir avec la situation actuelle de la gauche dans notre pays. Occupée à préserver  quelques strapontins dans le gouvernement, cette gauche n’est plus qu’une  caution  morale pour des politiques qui ne cessent de semer le désarroi et de livrer notre pays aux multinationales.

Elle pousse plus loin sa  “loyauté” vis-à- vis du président de la république, devenant un  laminoir de valeurs progressistes. Répugnante  comme jamais, elle justifie  sa désertion camouflée par des arguments intenables, tels  que la spécificité des réalités socio-culturelles de notre pays, l’urgence de renforcer le régime actuel pour parer aux velléités de déstabilisation d’Abdoulaye WADE et l’engagement de Macky SALL sur les conclusions des assises nationales.

C’est dans les partis de gauche représentés au sein du gouvernement qu’il est le plus difficile aujourd’hui, voire impossible, d’en revendiquer les valeurs fondamentales. Ces partis fanfaronnent les prétendus bons résultats du régime alors que la situation de notre pays sous ses multiples aspects et les récentes décisions du président de la république- les APE par exemple- les démentent. Sur le vide politique créé par le renoncement des forces de gauche et le brouillage des repères idéologiques qu’elle contribuent à entretenir prospèrent le rejet de la politique et l’effervescence identitaire.

Nous irons vers une situation plus désastreuse encore si rien n’est fait, qui sera marquée  par une impopularité criarde de la gauche aux prochaines élections, le recul ou la disparition totale de ses idées et de tout ce qu’elle représente.

Envisager un duel entre deux sensibilités libérales pour la prochaine présidentielle, comme c’était le cas en 2012, est une idée qui doit effrayer tout homme et toute femme de gauche; ce serait une dangereuse éventualité que la gauche a le devoir impérieux d’éviter si elle ne veut pas sceller son propre destin. En outre, cela relèverait d’une irresponsabilité historique; or, pour déjouer ce scénario mortifère il est indispensable de réinvestir  la bataille politique autrement que par des stratégies d’alliance avec des partis néolibéraux.

Notre pays a besoin de renouer avec toutes ses valeurs, de rassembler toutes ses énergies et dynamiques progressistes mais éparses afin de  faire face aux nouveaux et  aux vieux défis. Il n’est pas possible de tenir face aux nombreux chambardements de notre époque si nous ne re-mobilisons pas les ressorts de nos résistances politiques  et historiques pour  en refaire une  appropriation renouvelée, approfondie et collective. C’est d’abord à la gauche que reviennent la tâche et la responsabilité d’ouvrir ce chantier  utile, nécessaire et efficace pour endiguer : à la fois  l’éclatement de notre cohésion sociale, conséquence de la généralisation rampante du désespoir qui ne laisse aucun autre choix à notre jeunesse que celui de la voie périlleuse de la Méditerranée, et le déferlement de mésaventures identitaires et religieuses.

L’absence d’une perspective de coalition de gauche autour de la personnalité la plus populaire et disponible pour les prochaines échéances électorales , Khalifa SALL, démontre par défaut la pertinence de l’éventuelle candidature de celui- ci. En terme de capital de cohérence et de clarté, il est sur la scène politique actuelle, avec Mansour SY DJAMIL, la personnalité de gauche la plus crédible et la plus à même de mobiliser autour de cette idée simple mais  forte dont le temps est enfin venu: ” La gauche est de retour, le pouvoir au peuple , les richesses à tous !”

C’est le moment de sortir de ce cycle régressif de notre soutien  à des forces néolibérales pour des alternances cosmétiques et sans alternative aucune. Deux expériences électorales témoignent de l’absurdité de l’évolution de la gauche dans notre pays: elle a été un maillon essentiel de la coalition qui a porté Wade au pouvoir; et ensuite la gauche jouera un rôle déterminant dans l’élection de Macky SALL dont l’ancien premier ministre, Abdoul MBAYE, emprunte la même trajectoire que lui.

 Nous voici maintenant réduits, à l’inverse des expériences de 2000 et de 2012, à jouer les idiots utiles à la future l’élection d’Abdoul  MBAYE en restant dans ce gouvernement qui l’a  fait naître alors que toutes les ressources politiques et stratégiques sont disponibles pour créer les conditions d’un retour de la gauche au pouvoir.

En définitive, on ne peut rien attendre de ces apôtres du libéralisme, aucune conquête sociale, aucun progrès ni de ceux qui nous gouvernent actuellement ni de celui qu’ils ont “créé”, Abdoul MBAYE.

   Mohamed TAMEGA

hameta@hotmail.com