Vestiges historiques négligés: Bakel perd sa mémoire

Ces mémoires que l’on efface

Aujourd’hui, le pavillon René Caillé, bâti sur une colline dans la ville de Bakel est dans un état peu reluisant. La toiture détruite, les portes emportées par les voleurs, le lieu est devenu l’endroit privilégié des animaux en divagation mais aussi des personnes malintentionnées. A part le pavillon, la ville regorge d’autres symboles comme le fort Faidherbe, actuelle préfecture, les cimetières des soldats français et celui des «cent circoncis.»

Situé sur une colline au quartier montagne centrale de Bakel, le pavillon Réné Caillé croule sous le poids de l’âge mais surtout d’un défaut d’entretien. Ce bâtiment colonial, jadis, lieu de visite des étrangers, en particulier des touristes, n’est plus fréquentable. L’endroit est dans un piteux état. Une partie du toit en ardoise détruite, des portes défoncées et emportées par les voleurs, le carreau rouge noirci par endroits. Des déchets humains et d’animaux traînent partout. L’odeur dégagée rend l’air irrespirable. Les locaux qui avaient auparavant servi de logement à l’adjoint au préfet, et abrité un camp de gendarmerie, un centre de lecture et d’animation culturelle, présentent aujourd’hui une face peu reluisante. A quelques mètres du pavillon construit en pierres, les colons ont installé aussi le fort Faidherbe, qui devait protéger leur commerce. Il est situé en bordure du fleuve Sénégal. En cet après midi de juillet, un silence de cathédrale règne à la préfecture. Trouvé seul dans une cabine à l’entrée, l’agent de sécurité de proximité veille à la sécurité des lieux. Les chaînes accrochées au mur, les pierres à la place des briques témoignent du passage des Français dans la ville. Ce bâtiment, aujourd’hui érigé en préfecture, a vu sa construction démarrer en 1818 pour ne finir que 36 ans après, en 1854. Ce lieu est aussi un point qui attire les visiteurs. L’ex-ambassadeur de la France au Sénégal, Jean-Félix Paganon, y a effectué un tour au mois de novembre 2015 lors d’une tournée dans le département de Bakel. L’emplacement de ce fort a été bien calculé par les constructeurs. Idrissa Diarra, enseignant de formation, sert parfois de guide aux touristes. Il dit : «Comme dans l’esprit des colons partout où ils s’installent, ils se mettent toujours dans des endroits stratégiques, le fort a été construit en hauteur. Le fort c’est un R+ 1. En haut logeaient les chefs, et il y avait aussi les gardes, avec leurs chevaux».   Ces deux monuments, le Fort et le Pavillon René Caillé, classés patrimoines historiques de l’humanité, ne sont pas les seuls qui retracent le passage des colons dans cette ville de l’Est du pays. Toujours dans le souci de surveiller les mouvements de l’ennemi, les Français ont érigé des tours de contrôle. «Ils ont placé des tours, une au sud qu’ils ont appelée la tour du mont aux singes, parce que les singes en allant s’abreuver, passaient par là. Ensuite, il y a la tour qui est de l’autre côté, au nord, qu’on appelle la tour aux pigeons parce qu’il s’y posait des pigeons. Une troisième tour était à l’ouest, tour télégraphique, où se faisaient les envois avec les autres forts», renseigne Diarra. Par ailleurs, la ville regorge d’autres lieux symboliques. Au pied de la tour du mont aux singes est logé le cimetière français. Au milieu des sépultures est dressée une tombe centrale sur laquelle est gravée sur du marbre les noms de tous les soldats français enterrés ici. Vers Foloboula, il y a aussi le cimetière des «cent circoncis». Pour comprendre cette histoire, il faut remonter à la légende. Idrissa Diarra raconte : «Autrefois, il y avait dans le milieu soninké, le biru c’est-à-dire la circoncision. Ce n’était pas deux, trois garçons qu’on circoncisait. Il y avait tout le village et même les villages environnants qui amenaient leurs enfants. De telle sorte qu’il y avait cent circoncis. Les circoncis ne restaient pas dans le village, ils avaient leur hutte à l’extérieur du village où ils étaient à l’abri du mauvais œil, dit-on. Les femmes ne s’y rendaient pas ; seules les personnes d’un certain âge allaient leur rendre visite. Ils étaient là bas sous la protection spirituelle du camp, qui les protégeait contre les esprits, les djinns ». Le décor étant campé, Idrissa Diarra explique ce qui est arrivé à la centaine qui reposent au cimetière : «Ils ont fait une promenade sur une colline où il y a un tamarinier dont les fruits étaient mûrs. Les circoncis les ont cueillis et ont sucé les fruits. Lorsqu’ils ont sucé, 99 sont morts. Le centième a eu peur, il a fui, et il est parti au village voir sa mère. A la vue du circoncis, la mère a eu peur». Après avoir écouté religieusement le récit de son fils, la mère du rescapé poussa son enfant à commettre l’irréparable. Elle lui dit : «Tu retour­nes au camp et tu fais comme tes camarades. L’enfant lui demanda, c’est-à-dire, sa maman lui dit, vas mourir comme les autres. Il y est retourné sucer le tamarinier avant de tomber et mourir». Fin tragique pour ces cent enfants qui n’allaient plus voir les parents qui espéraient les accueillir en adultes appelés à prendre leur place dans la société.

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