
Perdu dans les profondeurs de la région de Kédougou, dans la partie la plus orientale du Sénégal, le mal-être et l’amertume caractérisent Salémata, l’un des départements les plus pauvres du pays. L’isolement, le manque d’électricité et d’eau, ainsi que l’absence des services sociaux de base sont le lot quotidien de la population. Les carences sont nombreuses et la lutte pour la survie continue, longue et interminable comme un jour sans pain.
Salémata ! L’évocation de ce nom laisse imaginer une charmante créature aux formes sculpturales ou généreuses. Il n’en est rien. Salémata est tout simplement une localité complètement démunie, perdue dans le fin fond de Kédougou et que certains Kédovins mêmes auraient du mal à situer sur la carte de leur région. Érigé en département à la faveur du découpage administratif de 2008 faisant au même moment de Kédougou une région, Salémata fait partie des rares départements du Sénégal qui ne sont pas rattachés à leur chef-lieu de région par une route bitumée. L’isolement et l’enclavement lui sont presque imposés depuis la nuit des temps.
La curiosité de découvrir cette localité complètement enclavée du fait de sa position géographique laisse place au découragement quand on emprunte l’axe Kédougou-Salémata long de 80 kilomètres. Il n’est pas donné à n’importe quel chauffeur ni à n’importe quelle voiture de braver cette piste cahoteuse, complètement accidentée avec des montées et des descentes interminable. La poussière rouge de latérite est omniprésente, souvent très abondante, rendant cette voie encore plus difficilement praticable. Les nombreuses crevasses font partie du lot quotidien et le véhicule est obligé de swinguer durant tout le trajet, soumettant ainsi à rude épreuve son châssis, sa suspension et autres organes.
Il faut franchir 19 petits ponts construits pendant l’époque coloniale, des radiers difficiles, des élévations à n’en plus finir. Au hasard de ce parcours, on traverse de petits villages anonymes, avec comme seule consolation une végétation parfois organisée en une savane arborée dense et une forêt claire. Rares sont les véhicules qui s’aventurent sur cette piste interminable. On peut rouler des heures sur cet axe sans croiser une autre voiture. Les jours de marché hebdomadaire constituent une exception. De vieilles guimbardes partent de Kédougou à destination de Salémata. Ici, les vélos et motos constituent les moyens de transport utilisés.
Des besoins à satisfaire
Et le plus souvent, les populations sont obligées de se taper de longues distances à pied pour accéder aux services de base établis au chef-lieu de département. Après plus de quatre heures de route pour une distance de 80 km, un chemin cahoteux et de nombreux virages offrant parfois une splendide vue panoramique, le visiteur découvre enfin Salémata. Pas de centre d’intérêt majeur dans cette cité ni d’attractions clés, mais l’atmosphère paisible et la poignée de maisons en banco peuvent bien justifier une courte halte. Salémata affiche un manque criant d’infrastructures. « Salémata est un département administré à distance. Ce n’est pas la faute à l’administration. Il se trouve que toutes les conditions ne sont pas réunies. Il n’y a même pas de local pour abriter la préfecture », assure le député Mamadou Sall.
Selon l’ancien président du Conseil départemental, rares sont les enseignants qui manifestent le désir d’exercer à Salémata pour des raisons d’enclavement et de pauvreté de la cité. « Un enseignant ou un chef de servie qu’on affecte à Salémata a des problèmes pour venir ici », indique-t-il. De prime abord, on se rend compte que les habitants de cette contrée, composés de Peuls, Bassaris et Diakhankés, sont dans une attente désespérée d’une amorce de développement. Pour eux, tout est priorité. Mais, le plus gros défi demeure celui du désenclavement. Un calvaire dont souffre le département depuis l’indépendance.
« Ici, à Salémata, on vit dans le marasme, l’enclavement, l’isolement et le sous-développement. Les multiples doléances concernent l’aménagement d’une route digne de ce nom, reliant Salémata à Kédougou, mais aussi desservant les autres localités du département », indique Jean Keïta, un jeune de la localité. « Notre difficulté majeure, c’est la route, et l’État doit penser à nous en réaliser une qui permettrait d’alléger la souffrance des populations », dit-il. « Salémata n’a pas un seul mètre de route bitumée. Tout ce que nous avons, c’est une piste non balisée, montagneuse, dangereuse, qui présente tous les aspects d’une route d’aventure, rendant ainsi très difficile la circulation des biens et des personnes », renchérit M. Boubane.
Selon lui, cet enclavement a considérablement réduit l’espérance de vie des populations. Pour le député Mamadou Sall, ancien président du Conseil départemental de Salémata, le monde entier a vu le président Macky Sall recevoir des bailleurs de la Boad pour le financement de la route Kédougou-Salémata. « Cet isolement sera bientôt rangé dans les oubliettes. Car nous avons espoir qu’avec Macky Sall, Salémata aura une route digne de ce nom », assure-t-il. Mais, les populations de Salémata ne prennent pas cela pour argent comptant. « Depuis longtemps, on nous fait des promesses. Nous n’y croirons que si nous voyons cette route », note Marième Diallo.
Un isolement total
À Salémata, les populations vivent un calvaire sans nom pendant l’hivernage. Ce n’est un secret pour personne, à la moindre goutte de pluie tombée, cette partie du pays est coupé du reste du monde. Et ressemble à un milieu aquatique. De nombreux villages restent alors coupés du chef-lieu de département. Les populations sont éloignées du monde à cause des routes coupées ; ce qui entraîne un autre problème majeur. Afia Pont, qui constitue la frontière entre le département de Kédougou et celui de Salémata, est parfois coupé par les eaux de pluie. « Pendant l’hivernage, l’eau stagne pendant deux semaines à Afia Pont avant de s’infiltrer et s’évaporer. Si tu es à Kédougou, tu ne peux pas te rendre à Salémata, et si tu es à Salémata, tu ne peux pas te rendre à Kédougou. La seule possibilité, c’est de nager pour traverser. C’est un vrai enclavement », renseigne le député de la localité.
« Chaque fois que l’hivernage approche, les habitants des zones enclavées sont dans le désarroi. La mauvaise qualité des pistes latéritiques fait que quand il pleut, elles sont tout le temps coupées. Parfois, on est obligé d’attendre des heures pour pouvoir passer », se désole Marième Diallo, venue s’approvisionner à Salémata. Selon elle, la tombée des pluies vient avec son lot d’angoisses. Certaines routes sont bloquées pendant des jours, leur causant de nombreux désagréments. Et dans certaines localités, nous dit-on, certains maires ou élus sont contraints de nager pour pouvoir vaquer à leurs occupations.
L’électricité, un luxe
L’un des points noirs du département de Salémata, c’est aussi l’absence de courant continu. À l’instar de beaucoup de localités du pays, Salémata n’arrive toujours pas à venir à bout de l’épineux problème de l’électrification qui constitue un luxe dans la commune et tout le département. À Salémata commune, le courant n’est disponible que de 8 à 14 heures le matin, et de 19 heures à 1 heure du matin. Les habitants ont ainsi soulevé le manque d’électrification ainsi que les conséquences néfastes qu’ils subissent dans leur vie socio-économique. Salémata n’a jamais connu un courant continu alors que c’est un département.
« Au moment où le président de la République veut électrifier tous les villages du monde rural, Salémata n’a pas d’électricité. Le chef-lieu de département n’est pas électrifié. À partir d’une heure du matin, nous sommes dans le noir jusqu’au lendemain à 9 heures. C’est un grand combat à mener », souligne le député Mamadou Sall, qui fait ainsi un clin d’œil à Thierno Alassane Sall, ministre de l’Énergie. Leurs enfants révisent leurs cours sous l’éclairage de bougies, disent-ils.
« Il n’y a pas d’électricité dans le lycée de Salémata, malgré les bons résultats enregistrés par les élèves qu’il faut motiver. Au 21e siècle, on ne peut pas vivre sans électricité. Dans le plus grand centre de santé de Salémata, il n’y a pas d’électricité », indique le député qui a invité le chef de l’État à prendre Salémata comme un département test dans le cadre du Pudc, parce que manquant de tout ». Selon lui, c’est un département où tout est à faire. « Le Pudc doit commencer par là où il n’y a rien », soutient-il.
Les habitants de Salémata souffrent le martyre pour accéder aux soins. Le centre de santé est dans l’incapacité d’assurer un minimum de service. Un manque d’équipements, de médicaments et surtout d’encadrement médical de qualité en est la cause. Pour se faire soigner, les habitants sont obligés de parcourir de longs trajets. Certaines communes restent sept mois sur douze sans parvenir à arriver à Salémata du fait de l’enclavement. Le fleuve leur barre l’accès au chef-lieu de département. D’aucuns, pour se soigner, vont jusqu’en Guinée. La situation est pratiquement la même partout dans le département.
« Il n’y a que le centre de santé de Salémata et ceux de Dakatéli et Thiankoye, fermés sept mois dans l’année, qui sont fonctionnels », nous dit M. Sall. « De Thiankoye à Dakatéli, c’est une distance de 18 kilomètres que l’on parcourt en 90 minutes. La route Dar Salam-Ethiolo ne fait que sept (7) kilomètres, mais pour évacuer un malade pendant l’hivernage, il faut le mettre sur un hamac parce que l’ambulance ne peut pas aller là-bas », déplore-t-il. À Salémata, le volet éducation également n’est guère reluisant. Le lycée ne dispose que de quelques salles de classe en dur. Tout le reste est constitué d’abris provisoires, sans toilettes. Le Cetf aussi est dans la même situation. « Ce centre a bientôt sept ans, mais jusqu’à présent, les apprentissages se font sous des abris provisoires », dénonce le député.
Une jeunesse voulant s’épanouir
Sans perspective, sans emploi et en l’absence de moyens de divertissement et de loisirs, les jeunes de la commune sont livrés à eux-mêmes. Le sport reste le seul moyen de conserver intact leur potentiel. Des dizaines de jeunes ont pris les routes de l’exode pour rejoindre les centres urbains à la recherche d’un autre moyen de survie, fuyant ainsi la léthargie régnant à Salémata. Pour ceux qui n’ont pas pu partir, la recherche clandestine de l’or reste la seule alternative. « Les agents du Parc du Niokolo Koba ont trouvé plus de 300 personnes exploitant clandestinement l’or avec le mercure près du fleuve. Ce sont des jeunes valides qui sont là-bas. S’ils se livrent à cette activité, c’est parce qu’il n’y a pas d’emploi », indique le parlementaire.
Selon lui, l’État doit penser à développer des projets au tour de ces villages riverains du parc. Cela permettra, à son avis, de fixer les jeunes et leur permettre de gagner honnêtement leurs vies. Pour les jeunes de cette localité, les équipements sportifs manquent considérablement. En effet, Salémata ne dispose que de deux terrains de football (Salémata, Ethiolo). Salémata, selon Abou Souaré, se caractérise aussi par l’absence de structures socio-éducatives, ce qui handicape sérieusement le développement d’activités culturelles. « Nous ne disposons d’aucun équipement de loisir fonctionnel », assure-t-il. « Il faut que les jeunes de Salémata s’épanouissent comme leurs camarades des autres départements du pays », soutient-il.
Les femmes ne sont pas en reste. Leurs seules activités génératrices de revenus restent la cueillette des produits forestiers, notamment le karité, le pain de singe, le tamarin, les mangues. « Salémata est le seul département du Sénégal où les femmes pilent encore le mil dans des mortiers », affirme Dieynaba Sow. Elle invite le ministre de la Femme à penser à ses sœurs de Salémata qui, dit-elle, « sont braves et travaillent sans se plaindre ». Pour le député Mamadou Sall, Salémata n’est pas aussi pauvre qu’on l’imagine.
«Salémata est dans le parc où les mangues, entre autres ressources, pourrissent parce qu’inexploitées. Les femmes ont été formées par la Promer à la culture du fonio. Malheureusement, on ne voit pas des gens venir acheter à cause de l’état de la route. Si elle est réalisée, Salémata sera à l’intérieur du Sénégal », assure-t-il. Le département de Salémata est démuni et lésé en matière de développement. Et ses 10.000 habitants espèrent un avenir plus radieux par une amélioration de leur quotidien.
Par Samba Oumar FALL / lesoleil.sn /