El Hadj Amadou Dème, l’homme qui perça les mystères du Coran

 

Il est sans conteste l’un des plus grands intellectuels musulmans. Eminent soufi, l’auteur de «Dyahou Nayirayni» (L’éclat du soleil et de la lune, ou encore, La lumière des deux lumières), El Hadj Amadou Dème a marqué les Sciences humaines de sa plume légendaire.

L’impossibilité a toujours qualifié son œuvre. Tellement elle est gigantesque, titanesque. De mémoire de musulman, c’était une première, fabuleuse. Un coup d’essai pour un coup de maître. Certes, pour quelqu’un qui n’a jamais fréquenté les grandes universités, jamais connu l’ordinateur, il y a toujours de quoi être ébahi face  à «L’éclat du soleil et de la lune» qui irradie toute sa production. Mais douter de cette grande œuvre humaine pour une histoire de couleur de peau, de condition modeste, c’est ignorer la Toute-puissance de Dieu et la grande érudition de El Hadji Amadou Dème. Eminent soufi, la Plume de Sokone est de ces hommes dont les œuvres inégalées et inégalables, relèvent du divin. Le saint-homme a consacré 20 longues années de sa vie à écrire «Dyahou Nayirayni». Une exégèse du Saint Coran qui perce les mystères et les énigmes du Livre Saint. Un travail hors-normes qui élève aujourd’hui le fils de Mamadou Lamine Bara et d’Aminata Bana au rang des plus grands intellectuels musulmans. Le seul, de toute la Ummah, qui a produit un chef-d’œuvre aussi colossal en sciences coraniques.

Sa mère lui a offert son premier exemplaire du Saint Coran

A l’instar de son prodige, Sokone a les traits mystiques. Cette commune du centre-ouest est une fée de Dieu, une tronche de sable aux flancs d’eau. Un havre de paix posé à même le bolong, dans un paysage de mangroves, avec une flore aussi ligneusse que l’immense œuvre d’El Hadj Amadou Dème. Un marabout, un père surtout, raconté par son fils, Aliou Badara Dème,  le cadet de la fratrie. Il dit, fier de son pater : «El Hadji Amadou Dème est né en 1890 à Mankano, près de Ndjendé, dans la région de Sédhiou. Son père était un paysan. Après une enfance triste, marquée par la disparition successive de ses deux parents, il est parti étudier le Saint Coran à Ndiobéne Gallo, pour ensuite s’adonner entièrement à l’enseignement du Livre Saint et à la pratique de la religion. L’homme s’exprimait en sept langues, parmi lesquelles l’arabe, le pulaar, le mandingue et le wolof. La façon dont notre père a pu acquérir la connaissance relevait du miracle. Puisqu’il n’a pas beaucoup voyagé hors du pays. Le saint-homme ne faisait pas de différence entre ses propres enfants et ses talibés, il n’y avait pas de différence de traitement.  Il offrait à manger et à boire à tout le monde. Sans exception. Et aidait beaucoup les nécessiteux. Il était à cheval sur les recommandations de l’Islam et ne tolérait guère les excès. En tant que grand cultivateur, il abhorrait la fainéantise.» Eduqué dans le dur, l’homme ne pouvait supporter cette contre-valeur. Comme on le lui a toujours inculqué, lors de son processus de socialisation, le marabout avait fait du travail un acte libérateur. Le fondement de l’autonomie.

Après le décès de son père en 1893, El Hadj Amadou Dème était alors âgé de 5 ans. Et n’avait pas encore fréquenté l’école coranique. Mais son père lui avait déjà acheté une tablette et c’est sa mère qui lui a offert son premier exemplaire du Saint Coran. En 1896, le jeune El Hadji Amadou se lance dans les études coraniques à Koudom dans l’arrondissement de Ndiédieng, au Sine-Saloum. Tafsir Gadio fut son premier maître coranique, puis ce fut au tour de son grand-père, Mor Yacine Dème. En 1902, à l’âge de 12 ans, il termine ses études coraniques et revient à Gagué Chérif. C’est ainsi qu’il décida d’aller au Fouta Toro pour approfondir sa culture islamique. Il séjournera successivement à Médina Ndiathbé, dans le Podor. Où il avait comme maître, Alpha Mamadou Aw, qui lui a appris la «Rissala». A Walaldé près de Cas-Cas, toujours dans le Podor, avec comme maître Thierno Ibrahima Aw, frère de Alpha Mamadou Aw, il apprit l’astronomie et les mathématiques, ainsi que la Tariqa Tijaniya. C’est à Nguidjilone dans la région de Matam qu’il a appris «Hamziya» avec comme troisième maître Thierno Yoro Bal. Après le Fouta, El Hadji Amadou Dème retourne enfin dans son fief à Gagué Chérif. Où il se prépara à affronter la vie. Une vie qui ne sera pas de tout repos, avant son installation, en 1906, à Bambougar, à 5 km de Sokone.

Sokone, la «révélation»

La venue d’El Hadji Amadou Dème à Sokone n’est pas fortuite. L’homme aurait vu en rêve cette localité. Où il devait se consacrer exclusivement à l’adoration de Dieu. «Après quelques années à Bambougar, il vit en rêve un lieu qui devait lui servir de résidence. Ce fut son déplacement à Sokone en 1907. Sur place, le saint se consacrait exclusivement à deux choses : Le Saint Coran et l’agriculture. Il trouvera sur place des hôtes magnanimes, dont Birame Diouf, Serigne Saliou Dia et El Hadji Abdourahmane Sy. Comme il l’avait vu en songe, c’est à Sokone qu’El Hadji Amadou Dème acheva son œuvre. Il eut de nombreux talibés et réalisa l’œuvre de sa vie», indique Aliou Badara Dème. Avec à la clé, son fameux «Diyaou Nayirayni». Une exégèse du Livre Saint qui revêt un caractère universel, traitant toutes les branches des Sciences humaines.

C’est un peu plus tard, En 1922 et 1923, qu’El Hadji Amadou Dème effectue le pèlerinage à La Mecque. Il en profitera pour aller étudier le rite Malékite à Bagdad, vant de devenir enseignant à Acre en Palestine. De retour de ce périple, le Saint-homme fonde, en 1947, son propre village, qui porte le nom de Médina El Hadji Amadou Dème ou Ndémène, situé à 7 Km de Sokone. Ses disciples venaient de toutes les contrées du Saloum et d’ailleurs. Pour vivre, ils créent des champs collectifs. «Un jour, il recensa 55 champs. Mais il se contentait du produit de ses champs personnels pour nourrir sa famille, forte d’une trentaine d’enfants. Il distribuait la production totale des 55 champs aux nécessiteux», raconte son fils, Aliou Badara.

L’année 1949 marque un tournant décisif dans la vie du saint homme. Parce que coïncidant avec la première mouture de «Diyaou Nayirayni», œuvre achevée depuis longtemps et dont il restait la correction. Le 4 avril 1960, coïncidant avec la fête de l’indépendance, l’ouvrage fut publié par ses amis, Ibou Diop Sandicoly et El Hadji Ousseynou Seck. Le gouvernement sénégalais dirigé alors par Mamadou Dia, donna l’ordre de l’imprimer. Ainsi, l’œuvre fut envoyée à Tanger au Maroc. Où l’imprimeur réclama l’aval du gouvernement sénégalais pour l’impression, vu la dimension de l’ouvrage. En 1962, «Dyahou Nayirayni», réparti en 20 volumes de 450 pages chacun pour un poids de 2 kg, sera enfin transféré et imprimé au Caire, en Egypte. Le Recteur de l’Université Al Azar du Caire, Mahmoud Saltoute, demanda que l’œuvre soit vérifiée avant d’être imprimée. Ainsi, douze érudits furent choisis, chacun dans son domaine de compétence, pour l’examiner. Ils n’y décèlent aucune erreur. Ils furent tellement contents qu’ils renoncèrent à la prime de 250 livres égyptiennes qu’ils réclamaient pour faire le travail. Ainsi, Sokone célèbre le 1er dimanche du mois de février de chaque année, cette œuvre gigantesque. Pour en faire connaître le contenu.

Un écrivain hors-pair !

C’est un secret de Polichinelle. El Hadji Amadou Dème aimait écrire. En bon connaisseur, l’homme aimait coucher sur des pages sa vision du monde. Cet amour incommensurable de l’écriture lui a valu environ vingt ouvrages sur l’Islam. Dont son célèbre «Dyahou Nayirayni». Et parmi sa collection d’ouvrages, on peut citer : «Avertissement aux déments ou Tanbikhul Aqbiya». Ce livre remet en cause la thèse selon laquelle l’être humain, durant sa vie sur terre, a la possibilité de voir Dieu à l’œil nu. Un privilège accordé seulement au Prophète Mouhammad (Psl) lors de son ascension pour rencontrer le Tout-Puissant. Le marabout a écrit «Bénédiction de Dieu, l’Unique ; ou Rakhmatul Ahad», le «Conseil à la fratrie ; ou Nassikhatul Ikhwan» et la «Découverte de la voûte céleste ; ou Kachifatul Khijab». Ainsi que «Défendre les hommes vertueux contre les calomnies des vicieux ; ou Tanfissu Saalikhin an Wachawichi Talikhin», «Exercer les étudiants à la grammaire ou Tamrinu Tulab» et «L’éclat des deux lumières, un commentaire du Saint Coran ; ou Diya ou Nayirayni». Il a également légué à la postérité «Le collier précieux ; ou Iqdu Samin», «Lettre de divorce ; ou Rissalatu Talaq», «Lexique de mots peu usités en arabe ; ou Garib fi Luqatil Arabiya» et «Livre sur l’âme ; ou Kitab fi Rukh». Les ouvrages «Profit pour un bienfaiteur», «Questions et réponses sur la Tariqa Tijaniya ; ou As ila wal ajuba ala tariqa attijaniya», «Recueil de sermons ou Diwanu Khutb», «Rendez-vous de la mode ou Unwanu Turraz», ainsi que «Renouvellement des connaissances ; ou Jalaa ul Fukhum», sont des produits de sa plume. Le saint-homme n’a pas manqué de se pencher sur la «Vie d’El hadji Omar Tall» et la «Vie du Prophète Mohamed ; ou Siratu Nabi».

Elevé aux grades de Chevalier et Commandeur de l’Ordre national du lion, El Hadji Amadou Dème a été rappelé à Dieu le 10 décembre 1973. Il repose depuis lors à l’Ouest de la grande Mosquée de Sokone, qui porte son nom et est classée monument historique par le gouvernement sénégalais.

IBRAHIMA KANDE (ENVOYE SPECIAL A SOKONE)

IGFM