Charles Aznavour, mort d’un monstre sacré de la chanson française.

 

Le chanteur et acteur français d’origine arménienne Charles Aznavour est décédé dans la nuit de dimanche à lundi à l’âge de 94 ans. Au-delà d’une très prolifique carrière artistique internationale, on retiendra aussi de lui le militant de la cause du peuple arménien pour la reconnaissance et la mémoire du génocide de 1915. Et s’il porta la voix du peuple arménien dans le monde entier, il n’en fut pas moins un citoyen éclairé aux idées pertinentes sur la société française.

Aznavour n’est plus. S’il fut, tout au long de sa vie, un artiste parcourant les styles et les genres musicaux, il prêta également sa voix à ceux qui en furent privés. A commencer par le peuple arménien. L’Arménie, ce petit Etat eurasien à l’histoire riche et fournie, compte aujourd’hui une population d’à peine trois millions d’habitants. Le cœur de l’Arménie bat, toutefois, dans le monde entier du fait de sa diaspora qui, elle, compte environ 7 millions de personnes. Le chanteur prit ainsi fait et cause pour le peuple et la culture arménienne afin que les massacres perpétrés au début du XXe siècle dans l’empire Ottoman contre ses ressortissants arméniens, ne tombent jamais dans l’oubli.

Dès 1975, alors qu’il est déjà une star internationale reconnue, n’ayant donc plus à faire ses preuves, il écrit l’une des chansons les plus engagées et profondes de son répertoire : Ils sont tombés. Les paroles expriment l’horreur du génocide de 1915 qui causa la mort de plus d’un million d’Arméniens.

« Aznavour ne s’est pas laissé démonter »

En 1981, l’Armée secrète de libération de l’Arménie (Asala) commet une prise d’otages à l’ambassade de Turquie à Paris, pour réclamer la reconnaissance par l’Etat truc du génocide arménien. Les auteurs de l’acte sont arrêtés et traduits devant la justice française, au moment même où d’autres membres de l’Asala commettent un attentat meurtrier à l’aéroport d’Orly. « Après Orly, les Arméniens rasaient les murs. Mais Aznavour ne s’est pas laissé démonter », racontait en 2010, l’éditorialiste et militant d’origine arménienne Ara Toranian, au site Slate.fr.

« Il a tout de même soutenu les quatre preneurs d’otages de 1981. Il a envoyé un témoignage en leur faveur, sa lettre a été lue lors du procès en appel. C’était courageux de sa part, car il avait beaucoup à perdre. Sous l’émotion des morts d’Orly, l’opinion, et peut-être même son public, auraient pu se retourner contre lui », raconte-t-il.

Naturalisé arménien à 84 ans

En 1988, lorsqu’un terrible tremblement de terre ravagea la région de Spitak dans le nord-ouest de l’Arménie, près de 30 000 personnes perdirent la vie et plus de 15 000 se retrouvèrent sans foyer. Aznavour mobilisa alors ses forces. Il écrivit les paroles de Pour toi Arménie, une chanson composée par son beau-frère, Georges Garvarentz, lui aussi né de parents arméniens. 24 artistes se joignirent à eux. Son succès fut important et l’intégralité des droits du disque, versés à la fondation Aznavour pour l’Arménie, apportèrent de l’aide aux trop nombreuses victimes de ce puissant séisme. Des années plus tard, Gyumri qui fut la ville la plus touchée par la catastrophe fit construire une statue en hommage à Charles Aznavour.

Ce n’est qu’en 2008, à l’âge de 84 ans, que le chanteur reçut la citoyenneté arménienne de la part du président de la république Serge Sargsian. Ce statut lui permit ensuite d’occuper les fonctions diplomatiques d’ambassadeur d’Arménie en Suisse à compter du 30 juin 2009. « J’ai présenté mes lettres de créances à Hans-Rudolf Merz, le président de la Confédération Suisse », avait-il fièrement écrit sur son site web, lui le fils d’immigrés ayant quitté l’école après l’obtention de son certificat d’études. Plus tard, il lui fut également confié le poste de représentant permanent de l’Arménie auprès de l’ONU à Genève.

« Le mouvement Aznavour »

Aznavour a, par ailleurs, souvent fait part aux médias de ses engagements. Il déclare notamment en 2015 sur RTL qu’il se sent concerné par la désertification des zones rurales en France. « On a une immigration, on en parle en bien ou en mal. On ne sait pas quoi en faire (…) On pourrait faire une sorte de melting-pot, et non pas tous les mêmes pour que ça ne soit pas des ghettos, pour recréer des villages. On leur donnerait de quoi reconstituer ce qui ne va plus dans les villages », déclarait-il. Il en a même écrit une chanson intitulée « Et moi je reste là » sur son album Encores.

« J’aimerais qu’on appelle ce mouvement, “le mouvement Aznavour” », ajoutait-il alors qu’il avait proposé son idée au président de l’époque François Hollande. « J’ai été écouté mais peut-être pas entendu », avouait-il.

Un militant de la reconnaissance du génocide

Bien sûr, les relations entre la Turquie et l’Arménie demeurèrent toujours au centre de ses préoccupations. Toujours en 2015, il déclarait à l’occasion du centenaire du génocide arménien au journal La Provence, « Le problème [de la reconnaissance du génocide, ndlr] est simple et il n’est pas cher, ce qui est très important pour un pays. En tout cas, ça leur [les autorités turques, ndlr] reviendrait moins cher que de financer tous ces négationnistes, qui ne connaissent rien à l’Histoire, qui disent n’importe quoi ».

« Je pense qu’il serait temps qu’Ankara, je ne veux pas dire les Turcs parce que ça ne serait pas vrai, qu’Ankara donc prenne une décision importante, une vraie décision qui permettrait de dire que la Turquie est un grand pays : ce serait un plus grand pays encore s’il reconnaissait ce qui s’est passé », concluait-il. L’avenir dira si les dirigeants turcs choisiront de suivre ce message de rapprochement entre les peuples ou non.

RFI