«SÉCURITÉ DU SÉNÉGAL ET DES SÉNÉGALAIS» : Les insuffisances des «Solutions» de Sonko ( Par Mamadou Mouthe BANE )

 

Écrire un livre est une capacité que tous les intellectuels ne possèdent pas. En l’espace de deux ans, Ousmane Sonko, président du parti «Pastef», candidat à la Présidentielle de février 2019, en a publié deux : sur le pétrole et sur ses solutions pour un «Sénégal nouveau». Cela prouve qu’il est un homme qui sait libérer ses énergies pour produire des propositions qui enrichissent le débat politique national. De ce point de vue, M. Sonko a du mérite.

Son dernier ouvrage nous a particulièrement intéressés, dans sa partie où il traite des sujets qui touchent à la sécurité du Sénégal et des Sénégalais. C’est parce que la sécurité, la criminalité organisée, le terrorisme, la diplomatie, les relations internationales sont nos spécialités en tant journaliste-chercheur. La sécurité au Sénégal, au Sahel et en Afrique est dans notre sphère de rechercheM. Sonko a décliné ses ambitions dans ce domaine en des termes qui prouvent qu’il a besoin d’uencadrement par des experts en matière de sécurité. Dans une certaine mesure, il a effleuré l’essentiel, dans une autre, il l’a totalement manquéNotre réflexion peut être considérée comme une suite de son livre : «Solutions». Dans ce qui suit, nous faisons une analyse complémentaire du Chapitre XI : «Sécuriser le Sénégal et les Sénégalais», de la page 193 à la page 203.

LA SÉCURITÉ PRÉCÈDE L’ÉMERGENCE

Ce que nos dirigeants actuels et futurs doivent comprendrec’est qu’il n’y a point d’émergence, de développement, sans une véritable politique publique de sécurité. Lorsque l’on parle d’environnement des affaires, il s’agit en partie de la stabilité politique et sociale du pays, qui peut rassurer les investisseurs et les convaincre à venir au Sénégal. Alors, le premier facteur d’un «Sénégal nouveau», comme le veut M.Sonko, c’est la sécurité et la stabilité. D’ailleurs, les Agences de notation tiennent beaucoup compte des aspects sécuritaires des ÉtatsPour un assainissement sain de l’environnement des affaires, en vue de rendre attractif notre pays, il faut d’abord une politique sécuritaire bâtie sur une stratégie de lutte contre la criminalité organisée, un calendrier électoral cohérent, gage d’une démocratie apaisée, une Justice crédible, indépendante et une Administration efficace, éloignée de toute pratique corruptogène, entre autres… Voilà les garanties primaires d’un environnement des affaires attractif.

M. Sonko l’a certainement bien compris ; ce qui explique les bonnes feuilles qu’il a accordées dans son livre à la sécurité des Sénégalais et du Sénégal. Mais, comme dans toute œuvre humaine, des insuffisances notoires ont été relevées. Et, voilà un article fait sous la forme d’une note complémentaire à son livre, qui retrace ses ambitions pour le Sénégal.

LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE

A la page 197M. Sonko écrit : «Nous pouvons nous targuer d’être un pays à faible criminalité intérieure, comparés à d’autres pays africains ou dans le monde». Il ne faut pas confondre «criminalité» et crimes de sang. La criminalitéc’est l’ensemble des actes criminels commis dans un groupe social et sanctionnés par la Loi. Elle a une dimension sociale et concerne tous les types de crimes : les trafics illicites, le blanchiment d’argent, le vol, les violences, le trafic d’êtrehumains, le trafic de bois, la vente de faux médicaments, la prostitution clandestine, la cybercriminalité, le terrorisme, la migration illégale, le trafic de faux documents (visas, passeports, cartes grises, CIN, permis etc.), la délinquance urbaine, l’exploitation des enfants etc.

De ce point de vue, nous ne pouvons pas nous targuer «d’être un pays à faible criminalité intérieure». Ce sont les autorités étatiques qui le disent. Selon la Direction de la Sécurité publique, «en 2017, pour diverses infractions, 33.419 individus ont été interpellés, dont 302 étrangers, 8459 d’entre eux ont été déférés au parquet ; dont 292 étrangers». En 2016, il s’agissait de 49.951 interpellations, dont 387 étrangers avec 11.061 déférés, dont 349 étrangersLe Sénégal est un hub du trafic international de la drogue, surtout celle en provenance de la GuinéeBissauSelon Pierre Lapaque, Direction général de l’Onudc, toutes les drogues circulent au Sénégal. 
Le rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (Ocde) sur les flux financiers illicites, publié mardi 20 février 2018, révèle : «L’économie du commerce illicite en Afrique de l’Ouest”, révèle que le Sénégal est au premier rang des pays de production de cannabis, de transit de la cocaïne et de blanchiment de capitaux issus des drogues».

L’Ocde, repris par «Seneweb», estime que les acteurs ouest-africains gagnent environ 22 milliards de francs CFA grâce au trafic de drogues, plus que le budget de certaines directions générales stratégiques du Sénégal. Chaque fois, des quantités énormes de drogue sont incinérées par l’Ocrtis. La Douane sénégalaise et la Gendarmerie saisissent d’importantes quantités de drogue dure sur la Petite Côte et dans les zones frontalièresUn rapport du Groupe International d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest basé à Dakar (Giaba), publié en 2013, sonne l’alarme : le Sénégal serait une cible privilégiée des réseaux de trafiquants de drogue dure. En effet, note le rapport, «beaucoup d’étrangers utilisent le territoire sénégalais comme plaque tournante pour exporter de la drogue de tout genre vers l’Europe et plusieurs destinations», rappelle l’expert Bruno Sonko dans son étude : «Le Sénégal et le narcotrafic en Afrique de l’Ouest». 

Par ailleurs, récemment, de faux médicaments d’une valeur de 1,335 milliard ont été saisis par les forces de sécurité à Touba. Dans le pays s’est développé un réseau important de trafic de faux médicaments en provenance de l’étranger.

Le blanchiment d’argent se matérialise dans le bâtiment, selon l’expert Bruno Sonko, qui a dit «qu’au Sénégal, une étude de l’Onudc, réalisée en 2010, souligne qu’entre 2000 et 2008, près de 250 milliards de FCFA ont été investis dans le secteur immobilier dans la capitale sénégalaise ; sur ce montant, seuls 10 milliards proviendraient du secteur bancaire…».

Les réseaux de trafic de faux documents, surtout le permis de conduire, et les trafics d’êtres humains à travers la migration se sont fortement développés au Sénégal. La prostitution clandestine, dans les zones urbaines, dans les régions minières comme Kédougou, Sabodola et les localités frontalières est devenu un phénomène social récurrent, en perfectionnement avec le numérique

Tous ces types de crimes cités entrent dans le champ de la criminalité organisée, pratiquée par des réseaux transnationauxC’est donc une hérésie que de dire que le Sénégal est un pays «à faible criminalité intérieure». Il suffit juste de voir si les types de crimes organisés cités plus haut reculent ou pas au Sénégal, avant de parler de «faible criminalité intérieure». Par contre, ce qui est faible, ce sont les crimes de sang. Ils existent, mais à une proportion faible. Et la plupart des personnes arrêtées pour meurtre sont, en généralen état d’ivresse ou de démence, sous l’effet de la drogue ou de l’herbe.

L’ARSENAL RÉPRESSIF EXISTE DÉJÀ

M. Sonko a parlé de la «prévention policière», de la «traque  et de la ferme condamnation des criminels» et de l’aménagement d’un «arsenal répressif législatif». Dans le Code pénal sénégalais, le Législateur a prévu des peines fermes contre les auteurs de tous les crimes précités. Il est toutefois possible de réfléchir sur la répression des «nouveaux délits» ou la «nouvelle criminalité» que nous allons expliciter dans ce qui suit. L’évolution de la société humaine sécrète de nouveaux délits, de nouvelles criminalités non prévus par le Législateur et qu’il va falloir intégrer dans le Code pénal.

LE CRIME ORGANISÉ TRANSFRONTALIER

M. Sonko devra aussi réfléchir sur le renforcement de la sécurité au niveau de nos frontières poreuses, qui font que des délinquants, des criminels étrangers les traversent, s’installent dans le payspoursuivent leurs activités criminelles sans être appréhendés. La Police des frontières fait un travail remarquable, mais certains délinquants accèdent dans le pays par la voie terrestre, en passant par des villages frontaliersloin des postes de contrôle. D’autres passent par la voie normale, mais avec de faux papiersOn se rappelle les deux terroristes mauritaniens qui avaient tué les touristes français au Nord de la Mauritanie. Ils ont traversé les frontières sénégalaises sans être repérés. Arrivés au Sénégal, ils ont séjourné à Yoff avant de quitter le pays pour rejoindre la Guinée-Bissau via la Gambie.

Il faut donc renforcer les moyens de la Police des frontières pour protéger le territoire national et éviter les mouvements des personnes suspectes. Cette voie empruntée par ces deux terroristes est la même qu’utilisent les acteurs des crimes organisés, qui s’activent dans les trafics illicites. Ils développent une économie souterraine aux conséquences désastreuses sur l’économie nationale. Alors, la lutte contre cette économie souterraine (ou économie parallèle) passe par l’identification des groupes dangereux sur le territoire national. C’est le travail des services de renseignement. 

En outre, M. Sonko soutient que nous devons avoir un «modèle sénégalais de gestion de la criminalité et de toutes les formes de violences». L’édification d’un modèle sénégalais de gestion de la criminalité et des violences n’est pas pertinenteLa raison est simple, un modèle sénégalais ne pourra jamais résoudre une criminalité transfrontalière ; d’où la nécessité de bâtir une politique publique de sécurité transfrontalière interétatique. En matière de sécurité, il faut penser africain, et c’est la transnationalité des crimes qui l’exige. Donc, ce «modèle sénégalais» tel que défini par M.Sonko traine des lacunes objectives, dans la mesure où la criminalité, c’est comme la fièvre dÉbola, il faut une stratégie globale, dans une approche communautaire pour l’endiguer.

LA PROTECTION CIVILE

M. Sonko écrit : «Il urge de réorienter les priorités en améliorant considérablement les conditions de travail et d’existence de corps qui jouent un rôle crucial dans la sécurisation physique et matérielle des Sénégalais. Il s’agitnotamment, des corps de l’Administration pénitentiaire et des Sapeurs-pompiers qui sont les plus mal lotis de la Fonction publique». Il faut qu’on s’entende, au préalable, sur deux choses : d’abord, l’Administration pénitentiaire et les Sapeurs-pompiers ne s’occupent guère de la sécurité physique et matérielle des Sénégalais. Cette mission est dévolue aux Forces de Sécurité et de Défense : Police en zone urbaine, Gendarmerie en rurale, sans oublier les Armées : Terre, Mer, AirLà, M. Sonko voulait parler certainement de la Protection civile qui est une Direction rattachée au Ministère de l’Intérieur. Comme l’a écrit le leader de Pastef”, le renforcement de leurs moyens de travail est une nécessité pour la sécurité des personnes et des biens.

Lutte contre le terrorisme

De l’avis de M. Sonko, pour faire face au terrorisme, «il nous faut donc revoir et renforcer la formation, mais aussi l’équipement de nos troupes». Il ajoute «nous doterons le Sénégal de forces d’élite bien entrainées et équipées, dignes des meilleures du monde, capables de se déployer rapidement et d’éradiquer une situation de danger».

Le candidat de Pastef semble miser sur la guerre pour éradiquer le phénomène du terrorisme. Il est dans son intérêt de comprendre qu’au contraire, la formation et l’équipement de nos troupes (elles sont déjà bien formées) n’y peuvent rien, absolument rien. La France et les Usa détiennent la bombe automatique et des armements stratégiques hautement sophistiqués, capables de détruire les zones occupées par les terroristes en moins de 48h. Ils ont les hommes, les armes, la formation et le renseignement nécessaires pour mener une guerre contre les terroristes. Et pourtant, ils n’arrivent pas prendre le dessus sur Aqmi dans le Sahel, Boko Haram au Nigéria ou l’État islamique en Syrie, en Irak ou en Europe.Malgré leur puissance militaire, les Usa n’ont pas pu déjouer les attentats du 11 septembre 2001, et la France est souvent frappée sur son sol. 

Pour «éradiquer une situation de danger», comme le veut M.Sonko, il faut miser sur l’éducation et la sensibilisation. Les pays sous-développés, comme le Sénégal, ne doivent pas se payer le luxe d’acquérir des armes, comme le fait Macky Sall, pour s’engager dans une bataille qu’ils ne gagneraient jamais par les armes. Car la lutte contre le terrorisme n’est pas que militaire. Il faut investir dans l’éducation pour éveiller la jeunesse afin qu’elle ne soit pas réceptive aux messages guerriers des terroristes. Les jeunes non instruits, sans aucun bagage intellectuel, sont en général des proies faciles pour les recruteurs des groupes terroristes. L’armement ne peut pas être une priorité pour le Sénégal.

LE SÉNÉGAL EST MILITAIREMENT SOUVERAIN

M. Sonko dit : «Nous affirmerons la souveraineté militaire pleine et entière du Sénégal sur son territoire». Attention ! Nous n’avons nullement besoin de réaffirmer une quelconque souveraineté militaireLe Sénégal est militairement souverain sur son territoire. Il l’a toujours été depuis 1960. Entendons-nous sur les concepts aussi. La politique sécuritaire du pays est définie par le président de la République, chef suprême des Armées. La présence d’armées étrangères, dans le cadre d’un Accord, ne traduit pas une absence de souveraineté militaire.Au Sénégal, la sécurité des personnes et des biens est assurée par les Forces de sécurité et de défense nationales. Toute autre armée étrangère qui interviendrait dans ce domaine, le ferait sur la base d’un Accord de défense signé en toute souverainetéHeureusement, ces accords de défense n’ont paété militairement mis en pratique, car le Sénégal n’a jamais connu de troubles devant exiger l’application opérationnelle des termes des Accords.

LES BASES MILITAIRES AU SÉNÉGAL

Le candidat de Pastef poursuit : «Nous exigerons le départ des troupes militaires étrangères sur le sol national et la restauration des bases occupées. Mais nous maintiendrons et diversifierons les liens de coopération militaire, au moyen d’Accords de défense». Il faut savoir d’abord comment rompre un accord signé entre deux États. Il s’agit de l’acte de dénonciation sur l’initiative de l’une des parties. Le Sénégal et la France ont signé de nouveaux accords de défense, en avril 2012, avec les présidents Sall et Sarkozy. D’autres Accords de défense lient le Sénégal et les Usa, notamment dans le domaine de la sécurité maritime, depuis 2001. Dans la gestion des questions militaires, il faut surtout de départir du sentiment nationaliste inutile. Les Etats signent des accords économiques, judiciaires, diplomatiques etc., qui n’ont jamais remis en cause leur indépendance ou leur souveraineté. 

La France ou les Usa ne perdraient rien si, demain, le Sénégal dénonçait les Accords de défense. Il faut savoir que la Gambie, située à l’intérieur du Sénégal, offre à ces pays toutes les opportunités sur le plan militaire, de même que l’ensemble des pays voisins du Sénégal. C’est le lieu de rappeler l’apport des Français et des Américains dans la formation de nos brillants officiers.

Les Usa ont ouvert, depuis 2008, un bureau du FBI qui couvrent presque plus d’une vingtaine de pays de l’Afrique, à partir de Dakar. Le FBI coopère avec les forces de sécurité du Sénégal dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. L’Armée sénégalaise, dans le cadre de la coopération militaire, reçoit des formations dans la lutte contre le terrorisme, la piraterie en haute mer, la surveillance des frontières, le contrôle dans les aéroports entre autres..C’est le lieu de rappeler que l’Armée française appuie le Ministère de la Pêche dans le contrôle des bateaux de pêche en haute merdont certains entrent frauduleusement dans les eaux sénégalais
C’est grâce à l’Armée française que le Sénégal effectue des contrôles en haute mer pour mettre la main sur les navires clandestins, mais aussi pour contrôler nos frontières maritimes. Le Sénégal n’a pas les moyens d’acquérir une flotte aérienne pour le contrôle de notre vaste territoire maritime et il faudra investir une partie de notre maigre budget pour acheter des appareils volants.

Qu’est-ce que les Usa et la France perdraient si, demain, M.Sonko, élu chef de l’État, récupérait les bases militaireslorsque les pays voisins du Sénégal peuvent leur offrir les mêmes opportunités ? Ne penser surtout pas que l’Accord de défense se limite à l’occupation de bases militaires sur le sol sénégalais. Que non ! La formation et l’équipement occupent une place importante dans les termes de ces accords. Dans le Livre Blanc 2008, lancé par le Président Sarkozy, les autorités françaises avaient déjà pris la décision de réduire l’effectif de l’Armée française en Afrique. Le Président Hollande avait changé d’option en décidant d’aider les armées africaines dans la formation, en vue de les laisser gérer leur propre sécurité. Le Président Obama estimait que la meilleure stratégie, c’était de mettre les armées africaines en avant, après les avoir formées et outillées. Ces deux pays ont d’ailleurs décidé de réduire leurs investissements en Afrique dans les domaines militaires.

Ensuite, il faut restaurer les bases militaires occupées par les armées étrangères pour en faire quoi ? M.Sonko devrait nous dire ce qu’il ferait des sites occupés par les armées étrangèresPar exemple, dans un pays comme le Djibouti, les bases militaires sont louées aux armées étrangères françaises, américaines, italiennes et chinoisesLes Américains paient 31 milliards de FCFA de frais de location à Djibouti, la Chine 50 milliards de FCFA, le Japon 15 milliards de FCFA. Ce pays gagne environ 100 milliards de FCFA, chaque année, dans la location de ses bases militaires aux pays étrangers, grâce à sa position géographique envieuse. Le Sénégal n’est pas non plus mal positionné… C’est une bonne option qui renfloue les caisses de l’État djiboutien. Mais, récupérer les bases militaires pour satisfaire un sentiment nationaliste mal maitrisé, c’est ignorer les aspects basiques de l’intelligence économique et militaire. Pour une réciprocité, il est certes possible de réviser les Accords de défense, pour que le Sénégal ouvre des bases militaires en terre française, pourvu qu’il en ait les moyens et, surtout, que ses intérêts géostratégiques le commandent. Ce que je ne pense pas. Le Sénégal n’a pas les moyens d’entretenir une base militaire en France, encore moins aux Usa. Cela servirait à quoi ? 

Les bases militaires en terre sénégalaise sont utiles, aussi bien pour le Sénégal que pour la France. Il faudra donc les optimiser pour que toutes les parties y gagnent. Pour cela, M.Sonko, une fois élu, devra penser à louer ces bases à l’Armée française. La France possède des bases militaires dans toutes ses anciennes colonies. Et c’est grâce aux éléments français de Barkhan, basés entre le Niger et le Tchad, qu’un membre de Boko Haram, le Sénégalais Mokhtar Diokhané, a été arrêté après l’interception de ses communications téléphoniques par les services de renseignement français.

La coopération dans le domaine du renseignement entre la France, le Niger, le Sénégal, le Maroc, la Mauritanie, les Usa etc., a permis de déjouer beaucoup de projets d’attentats en terre sénégalaise. Et, lors de la crise malienne, les militaires français prenaient leur départ à partir de Dakar pour intervenir au Nord-Mali. Des avions français partaient de laéroportLéopold Sédar Senghor de Dakar et de l’aéroport militaire de Ouakam pour intervenir au Nord-Mali, jusque dans les montagnes des IfoghasCes interventions de l’Armée française ont sauvé le Mali, qui n’avait aucun moyen pour contenir les assauts des hommes d’Abu Zaid et de Mokhtar Bel Mokhtar. Ils ne sont pas les seuls, car, depuis quelques temps, des militaires canadiens débarquent à l’aéroport de Dakar (ils logent à TerrouBi et à King Fahd), dans le cadre de leur intervention au Mali. Dakar est incontournable dans la stratégie militaire des armées étrangères dans le Sahel.

Les Accords de défense ont toujours existé, même entre pays développés. En outre, les bases militaires se négocient entre États et elles ne peuvent nullement traduire une faiblesse d’un État d’accueilRappelons le Pacte de Quincy, signé entre les Usa représentés par Roosevelt et l’Arabie  Saoudite représentée par le Roi Al Saoud, en 1945. Ce pacte autorise aux Usa d’ouvrir des bases militaires en terre sainte de l’Islam, sans que cela ne remette en cause la souveraineté militaire du Royaume.

ABSENCE DU SÉNÉGAL AU G5 SAHEL

Pour M. Sonko, «c’est une erreur stratégique que le Sénégal soit absent du G5 Sahel, ne serait-ce qu’à titre d’observateur». Mais non ! L’absence du Sénégal comme pays membre fondateur du G5 Sahel ou simple observateur n’est nullement la faute des autorités sénégalaises. Le G 5 Sahel est l’enfant du «Processus de Nouakchott», lancé en mars 2013 et qui regroupe 11 pays, dont les cinq du G5 et le Sénégal. Maisce qu’il faut retenir, c’est que le G5 Sahel est composé des «pays de champs» : Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Fasso, élargis au Tchad. N’eut été sa participation dans la guerre contre les terroristes au Mali, le Tchad n’allait pas intégrer le G5.

Le Sénégal a toujours demandé à intégrer le G5 Sahel. L’absence de notre pays est à imputer aux membres fondateurs de cet organe, surtout les Présidents Aziz de la Mauritanie et Idriss Déby du Tchad. Le dénominateur commun de l’ensemble des pays du G5, c’est qu’ils ont tous eu à subir des attaques terroristes sur leur sol. Le Sénégal pas encore !

Aujourd’hui, le G5 Sahel fonctionne avec des divergences internes entre la Mauritanie et le Tchad, qui se disputaient le leadership. Déby et Aziz ont fini par écarter les Maliens de la tête du Commandement pour caser leurs hommes. Et pourtantdepuis sa création en 2013, le G5 Sahel peine à trouver ses financements, malgré le rôle joué par le Président Macron devant les Nations-Unions et l’Union européenne. L’absence du Sénégal, dans cette organisation, est mal vue par les Européens, qui ont lancé GAR-SI Sahel (Groupe d’Actions Rapides – Surveillance et Intervention au Sahel), composé des pays du G5 plus le Sénégal, pour lutter contre le terrorisme et la migration clandestine. N’est-ce pas là une démarche intelligente pour ramener le Sénégal dans le jeu ?

Les solutions africaines existent déjà

M. Sonko écrit : «Nous sommes partisans de solutions africaines aux problèmes africains par la mise en place d’un commandement africain permanent, financé entièrement par les Africains, doté de troupes permanentes et prêtes à être engagées dans des opérations de rétablissement et de maintien de la paix sur le continent». SM. Sonko avait poussé ses recherches, il allait comprendre que l’Union Africaine a mis en place, depuis fort longtemps, plusieurs mécanismes de maintien de la paix mais aussi d’anticipation et de prévention des conflits. Mais, ne mettons pas les charrues avant les bœufs.

M. Sonko doit également comprendre que l’Unité africaine est fondamentale pour l’émergence économique et sociale du continent. Il faut bâtir une stratégie de sécurité africaine avec une Armée africaine, comme l’avait préconisé le Président Kadhafi, mais aussi une Police africaine (Afripol). Un petit effort de recherche lui aurait permis de découvrir que l’Union africaine a dépassé ses propositions de création d’un Commandement. L’Union africaine dispose d’un Conseil de Paix et de Sécurité dirigé par le Maroc et composé de 15 membres. Toujours dans le domaine sécuritaire, il y a la Force Africaine en Attente (FAA), qui est une force de maintien de la paix et multidisciplinaire, constituée de militaires, policiers et civils, fonctionnant sous la direction de l’Union africaine.Par ailleurs, lUA avait adopté une Charte sur la Sécurité maritime, en 2016. Dans un livre que nous allons bientôt publier, nous avons dégagé les contours d’une Police du Sahel(Sahelpol) et d’une Agence de Sécurité africaine. L’approche doit s’appuyer sur une stratégie sécuritaire communautaire.

Parlons du Comité d’État Major Opérationnel Conjoint (Cemoc), créé par l’essentiel des pays membres du G5 Sahel actuel, plus l’Algérie. C’est une structure mise en place pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel. Mais elle a connu les mêmes travers qui minent le G5 Sahel, aujourd’hui. N’est-il pas aussi important de saluer les efforts déployés par la France et les Usa dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée dans le Sahel ? Au Mali, la France avait lancé l’Opération «Serval», qui a précédé l’Opération Barkhan. Le Flintlock est aussi une initiative américaine qui vise à renforcer les capacités des armées africaines.

Les armées africaines, surtout sahéliennes, n’ont pas les moyens de leur combat. Il faut voir le dernier classement de l’Indice du Développement Humain (IDH) des Nations-Unies pour comprendre que ce n’est pas demain que les pays du Sahel auront les moyens pour financer leur propre sécuritésans une coopération qui passe par la signature d’Accords de défense matérialisée par l’ouverture de bases militaires offshore et onshore. Tous les pays membres du G5 Sahel ont un indice de développement humain faible, selon les Nations-Unies, et le Sénégal y figure en bonne place. Ces pays n’ont pas les moyens d’asseoir une stratégie de renseignement technique cohérente, sans l’appui des partenaires comme la France, les Usa, la Russie, l’Israël, l’Iran etc. C’est grâce à la coopération que le G5 Sahel possède des drones de surveillance des membres du groupe de l’État Islamique dans le Grand Sahara (Eigs), dirigé par Abu Walid al Sahraoui. Soyons conscients que l’avenir du Sénégal et de l’Afrique est dans la coopération internationale.

LE RENSEIGNEMENT

M. Sonko écrit encore : «Nous privilégierons le renseignement, seul à même de nous  conférer une longueur d’avance dans ce type de guerre asymétrique». Le leader de Pastef devrait être plus précis en exposant clairement sa politique de sécurité nationale. Là, on comprendra l’usage qu’il fera du Renseignement et quel type de renseignement.Rappelons qu’il existe deux types de renseignement : humain et technique. Il s’est trouvé que le renseignement technique est l’apanage des pays développés. D’ailleurs, tous les outils d’écoute, de surveillance, d’espionnage, de traçage de communication, d’interception de communication qu’utilisent nos services de renseignement nous ont été offerts ou vendus par les pays étrangers dans le cadre d’une coopérationLe candidat de Pastef” oublie que les bases militaires étrangères participent à la collecte de renseignement technique et à la sécurisation de notre territoire, des personnes et des biens, en toute discrétion.

Rappelons-nous, lorsque les terroristes d’Aqmi et d’Ansardine ont voulu prendre l’aéroport de Sévaré, au Mali, c’est l’Armée française qui avait stoppé leur progression vers Bamako. Et il était évident que la prise de Bamako allait donner des ailes aux terroristes, qui n’hésiteraient pas à progresser vers les frontières sénégalo-maliennes. Les pays de la Cedeao ont trainé les pieds, pendant plusieurs mois, avant d’envoyer des soldats, faute de moyens. N’eut été les soldats français, les terroristes seraient aujourd’hui à Saint-Louis du Sénégal ou même à Dakar.

M. Sonko a salué le projet de la Grande Muraille Verte, qui est un projet ambitieux, comme il l’a bien dit. Mais sa réalisation passera forcément par la sécurisation des territoires où passera cette muraille. Ce sont les chefs d’État et de Gouvernement duBurkina Faso, de Djibouti, d’Érythréed’Éthiopiedu Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria, du Sénégal, du Soudan et du Tchad qui ont mis en place l’Initiative de la Grande Muraille Verte (IGMV), endossée, en 2007, par l’Union Africaine en Initiative Grande Muraille Verte pour le Sahara et le SahelMais, faisons un peu la géopolitique des conflits dans ces pays devant abriter la GMV.

Le Burkina Fasso, le Niger, le Mali, le Nigéria, le Tchad sont secoués par les groupes terroristes, Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie connaissent des cellules des Shebabs, qui ont plusieurs fois frappé la Somalie et le Kenya. La Mauritanie n’a pas non plus échappé à ces assauts des groupes terroristesdans le passé. Le Soudan, également concerné par la Grande Muraille, partage ses frontières avec sept pays, pratiquement tous touchés par des attaques terroristes et dont la plupart sont des exportateurs de jihadistes vers l’Europe et le Sahel. Alors, comment réaliser le projet de la Grande Muraille dans ses pays infestés de cellules terroristes actives, féroces et sanguinaires ?Le succès de la Grande Muraille Verte passera par la sécurisation, d’abord, des pays d’accueil du projet.

COMMENT ASSURER LA SÉCURITÉ DU SÉNÉGALAIS ET DES SÉNÉGAL ?

Il faut d’abord avoir une vision matérialisée par une stratégie globale mis en œuvre à travers une politique opérationnelle cohérente. La faiblesse de nos armées c’est le manque de moyen. Alors il faudra donc allier sécurité et productivité adossées sur une coopération multisectorielle et multilatérale. Pour parler de la sécurité au Sénégal, il faut partir des dernières réformes de 2013 opérées par le président Macky Sall qui sont à l’origine de la création de la Délégation Nationale du Renseignement (DNR) placée au sommet de notre système de renseignement rattachée à la présidence de la République, de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure et de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure. En plus récemment, le président a pris un projet de loi en Conseil des Ministres pour réformer le Ministère de l’Intérieur. Maintenant M.Sonko devra : soit renforcer ses réformes, soit engager de nouvelles réformes de notre système de sécurité nationale.  

Aujourd’hui, les menaces qui nous guettent sont :

1- Le terrorisme religieux : Cela nous amène à parler du Salafisme dont se réclament tous les groupes terrorismes du Sahel : Boko Haram, Aqmi, État islamique dans le Grand Sahel etcCes Salafistes qu’on appelle wahhabite ailleurs sont des musulmans orthodoxes qui qualifient d’égarés tout musulman qui pratique l’islam d’une manière différente d’eux. Dans nos recherches, nous avons rencontré des Salafistes notamment le jeune Casamançais Sadio Gassama (tué à Syrte) et Abdou Gueye (tué en Irak)qui nous disaient que les chiite ne sont pas des musulmans. Pire encore, ils soutiennent sans gêne que l’islam du Sénégal est un islam d’égarés, allant jusqu’à menacer de faire exploser le pays. C’est cette intolérance véhiculée par les Salafistes qui produit de la violence à travers le terrorisme dont le Sénégal est menacé comme ses voisins.  L’affaire Imam Alioune Badara Ndao est encore une preuve suffisante que le Sénégal est traversé duNord au Sud par des courants jihadistes jusque-là passifs

En parlant de «souveraineté militaire», Sonko devrait aussi parler de «souveraineté religieuse» face à des missionnaires Salafistes, poches remplies de «petro dollar» qui enseignent un «islam» différent de ce que nous connaissons et avons appris de nos vénérés guides Baye Niass, Ahmadou Bamba, Maodo Malick etc. Ils financent des mosquées, des écoles et prônent un islam intolérant. D’ailleurs, ces fonds qui entrent au Sénégal à travers des ONG religieux et qui servent à financer des cellules Salafistes doivent être traqués par la Centif, le Giaba etc. 

Cette vision de l’islam Salafiste qui considère les chiite comme des égarés à égorger comme le prônent les dignitaires de l’État islamique est source d’instabilité pour notre paysNous l’avons vau Nigéria, en Irak et en Syrie avec Daech, Al Qaïda et ses filiales à travers le SahelLe Sénégal compte aussi de nombreuses cellules salafiste bien que non violentes,qu’il faudra infiltrer ou placer sous surveillance pour anticipersur leurs probables actions violentes futuresCar seule l’infiltration, l’anticipation et l’alerte précoce peuvent annihiler tout projet d’attaque terroriste sur le sol sénégalaisCe que nos forces de sécurité et de défense savent bien faire…

2- Les cybermenaces : M.Sonko devrait porter un intérêt particulier sur les cybermenaces véritables menaces des temps modernes avec le développement effréné du numérique. Le Sénégal devrait aller vers la création d’une Armée numérique aux côtés des armées de terre, mer et air. Aujourd’hui, la protection des infrastructures vitales de l’État est une exigence de sécurité publique car notre écosystème numérique fait face à des menaces cybercriminelles, les citoyens sont également exposés. L’Administration sénégalaise, le secteur privé, la Santé, l’Éducation et la Sécurité sont tous connectés sur internet, il faudra à cet développer une stratégie nationale de protection de notre Système Informatique et des données personnelles(Nous l’avons bien développé dans un ouvrage que nous allons publier très prochainement). 

3- La grande criminalité hybride : Nous l’avons bien développé en haut. Il s’agit du trafic de drogue, de la migration, du blanchiment d’argent, du trafic de faux document, du trafic de faux médicaments etc…

4 Le trafic d’armes : Il s’est développé dans la sous-région, conséquences des guerres civiles au Tchad dans les années 80, en Côte d’Ivoire en 2010, au Mali et la chute du régime de Kadhafi. 20 millions de tonnes d’armes ont quitté la Libye pour s’éparpiller dans tout le Sahel jusqu’en CasamanceLa Libye est un marché d’armes à ciel ouvert. 

6- Les enfants Talibés : Il s’agit d’un fléau qui menace la sécurité publique. En 2013, Human Right Watch avait recensé 50.000 enfants talibés au Sénégal. La plupart de ces enfants, une fois majeure, intègre les réseaux des crimes organisés surtout la délinquance juvénile urbaine. Aucun État ne s’intéresse à la reconversion des enfants talibés qui atteignent l’âge de la maturitéCe sont eux qui deviennent des apprentis car rapide, des laveurs de véhicules, des vigiles pour les plus ambitieux ou des agresseurs, des drogués, des terroristes, des acteurs de la violence urbaine pour les moins chanceux.

7- La migration : Un autre phénomène qui dépasse les États émetteurs et récepteurs. Il pose également une question de sécurité publiqueDans un pays comme le Maroc, les migrantsqui n’ont pas réussi à traverser les deux colonies espagnoles Seubta et Mililai rejoignent la délinquance urbaine dans les villes marocaines. Au Niger, au Mali, au Tchad et en Lybie, ilsrejoignent les groupes terroristes qui leur offrent un emploi énuméré, une kalachnikov et une épouse, ce qu’aucun État ne peut garantir à un citoyen

Nous terminons par une proposition que nous faisons à M.Sonko pour financer la sécurité au Sénégal, dans l’espace Cedeao et en Afrique. Il pourra le soumettre à ses pairs de l’Union africaine une fois élu. Il suffit juste de ramener l’application de la surtaxe sur les appels entrants qui rapportait 60 milliards de FCFA au Sénégal.

Mamadou Mouthe BANE

Journaliste spécialisé en Crimes organisés et Sécurité