Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo est attendu mercredi en Turquie après avoir obtenu des dirigeants saoudiens l’assurance de leur volonté d’élucider l’affaire du journaliste Jamal Khashoggi, disparu après être entré le 2 octobre au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.
Le ministère turc des Affaires étrangères a annoncé mardi que M. Pompeo allait effectuer une «visite de travail» en Turquie, sans mentionner explicitement le cas de Jamal Khashoggi. Les autorités saoudiennes sont soupçonnées d’avoir fait tuer Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien âgé de 59 ans, dans le consulat d’Istanbul. Elles nient être impliquées dans sa disparition.
Dépêché d’urgence à Ryad par le président américain Donald Trump pour interroger les Saoudiens sur cette affaire au retentissement planétaire, M. Pompeo a eu des entretiens avec le roi Salmane puis avec le prince héritier Mohammed ben Salmane.
«J’estime à l’issue de ces rencontres qu’il y a un engagement sérieux à déterminer tous les faits et à assurer que les responsabilités soient établies, y compris la responsabilité de dirigeants ou de hauts responsables d’Arabie saoudite», a déclaré dans un communiqué le chef de la diplomatie américaine.
Se faisant l’écho de tweets du président Trump, qui s’est invité par téléphone au dîner qu’ont eu M. Pompeo et le prince héritier, le secrétaire d’Etat a déclaré que les dirigeants saoudiens «ont démenti énergiquement savoir quoi que ce soit sur ce qui s’est passé dans leur consulat à Istanbul».
«Une explication complète»
Le prince héritier «s’est engagé à ce que le travail du procureur saoudien fournisse au monde entier une explication complète et définitive en toute transparence», a ajouté M. Pompeo. «J’ai souligné l’importance de mener une enquête approfondie, transparente et rapide, et les dirigeants saoudiens s’y sont engagés», a assuré le chef de la diplomatie américaine.
Le journaliste saoudien, critique envers le pouvoir de Ryad et qui collaborait notamment avec le «Washington Post», est entré le 2 octobre au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul et n’est pas reparu depuis. Selon des responsables turcs, ce journaliste, exilé aux Etats-Unis depuis 2017 et «bête noire» du prince héritier, aurait été tué au consulat par des agents saoudiens venus de Ryad. Les autorités de Ryad ont jusqu’ici fermement démenti toute implication dans sa disparition.
Le message du secrétaire d’Etat aux dirigeants saoudiens a été «clair et franc», a déclaré la porte-parole du département d’Etat Heather Nauert, qui accompagnait M. Pompeo à Ryad. M. Pompeo a «remercié le roi pour son engagement à appuyer une enquête approfondie, transparente et dans un délai raisonnable sur la disparition de Jamal Khashoggi», a rapporté Mme Nauert.
Pendant que la visite de M. Pompeo en Arabie saoudite était en cours, M. Trump a indiqué s’être entretenu au téléphone de l’affaire Khashoggi avec le prince Mohammed ben Salmane.
«Je viens de parler avec le prince héritier qui a fermement nié toute connaissance de ce qui s’est passé dans le consulat en Turquie», a tweeté M. Trump. «Il m’a dit qu’il avait déjà lancé, et allait rapidement étendre, une enquête complète et approfondie».
«Nous sommes des alliés»
A Ryad, le prince héritier a fait valoir les liens «forts et anciens» de l’Arabie saoudite avec les Etats-Unis. «Nous sommes des alliés», a souligné le prince, âgé de 33 ans. Lundi, après s’être entretenu au téléphone avec le roi Salmane, M. Trump a suggéré que la disparition de Jamal Khashoggi «pourrait être le fait de tueurs hors de contrôle».
Et dans un entretien mardi avec l’agence de presse américaine AP, M. Trump a réclamé l’application à l’Arabie saoudite du principe de présomption d’innocence. «Il faut que nous sachions d’abord ce qu’il s’est passé», a-t-il déclaré, estimant que l’enquête lancée par les Saoudiens pourrait durer «moins d’une semaine».
Un sénateur américain très influent et proche de Donald Trump, Lindsay Graham, a violemment mis en cause le prince héritier Mohammed ben Salmane et a souhaité qu’il quitte le pouvoir. «Cet homme est destructeur. Il a fait assassiner (le journaliste) au consulat à Istanbul», a accusé le sénateur républicain sur la chaîne «Fox News». «Cet homme doit partir», il est «toxique», a-t-il lancé.
Les ministres des Affaires étrangères du G7 et la haute représentante de l’Union européenne se sont dits «très préoccupés» par la disparition de Jamal Khashoggi et ont souhaité une enquête «approfondie, crédible, transparente et rapide» des autorités saoudiennes.
Des médias américains ont affirmé que l’Arabie saoudite, dont l’image a terriblement souffert de cette affaire, envisageait de reconnaître la mort du journaliste lors d’un interrogatoire qui aurait mal tourné au consulat. Mais la presse américaine a publié mardi des informations de nature à renforcer les soupçons qui pèsent sur Ryad.
Proche du prince héritier
Selon le «New York Times», l’un des hommes identifiés par les autorités turques comme faisant partie des responsables de la disparition de Jamal Khashoggi appartient à l’entourage du prince héritier Mohammed ben Salmane.
Selon le journal américain, qui publie plusieurs photos pour appuyer ses dires, Maher Abdulaziz Mutreb a notamment accompagné le prince lors de déplacements aux Etats-Unis en mars 2018 ainsi qu’à Madrid et à Paris en avril 2018. Les autorités turques ont diffusé une photo de lui arrivant à l’aéroport d’Istanbul.
Le «New York Times» ajoute que trois autres suspects – qu’il identifie comme Abdulaziz Mohammed al-Hawsawi, Thaar Ghaleb al-Harbi et Muhammed Saad Alzahrani – ont été liés par des témoins ou d’autres sources aux services de sécurité attachés au prince de 33 ans.
Et un cinquième homme, un médecin légiste identifié comme Salah al-Tubaigy, a occupé des postes à hautes responsabilités au ministère saoudien de l’Intérieur et dans le secteur médical saoudien, poursuit le journal, soulignant qu’«un personnage de cette stature ne pourrait être dirigé que par une autorité saoudienne de haut rang». Le quotidien affirme avoir confirmé par lui-même qu’«au moins neuf des quinze (suspects) ont travaillé pour les services saoudiens de sécurité, l’armée ou d’autres ministères».
Le «Washington Post» estime pour sa part que onze des quinze suspects saoudiens mentionnés par les autorités turques ont des liens avec les services de sécurité saoudiens. Pour le «New York Times», la position des suspects au sein du gouvernement saoudien et les liens de plusieurs d’entre eux avec le prince héritier «pourraient rendre beaucoup plus difficile de l’absoudre de toute responsabilité» dans la disparition de Jamal Khashoggi. «Et la présence d’un médecin légiste spécialisé dans les autopsies suggère que l’opération pourrait avoir été préparée avec un objectif fatal depuis le début», relève le journal.
(nxp/afp)



